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ferrées et la nécessité de les réduire. Cette agitation dure encore ; la question du transport économique entre les états de l’ouest et les rivages de l’Atlantique est toujours pendante et finira, étant donnée l’énergie particulière à la race américaine, par être utilement résolue. Il y a là un problème de topographie qui se videra peu à peu. C’est aussi vers le golfe Saint-Laurent, par les canaux, les lacs et les rivières, et vers le golfe du Mexique par la grande artère du Mississipi, que ces vastes champs de l’ouest, comme perdus au centre du grand continent, doivent chercher leurs débouchés ; mais ici se présente la rivalité de Montréal ou de la Nouvelle-Orléans contre New-York, et les intérêts en jeu viennent quelquefois obscurcir les vues de l’économiste ou du législateur : New-York n’entend céder à aucune autre ville la primauté sur l’Atlantique. On ne peut nier toutefois que les voies navigables intérieures ne soient de plus en plus améliorées, les canaux complétés ou élargis. Les ingénieurs sont même occupés à cette heure à régulariser les bouches capricieuses du Mississipi ; mais tout cela demande beaucoup de temps et beaucoup d’argent, et quelques fermiers ne veulent pas attendre. La question se pose cependant comme si des plaines du Danube on voulait expédier par terre des céréales à Paris.

Si les Américains se plaignent aujourd’hui du fonctionnement de leurs chemins de fer et des tarifs élevés appliqués à l’exploitation, ils doivent n’accuser qu’eux-mêmes. Pendant trois ans, de 1870 à 1872, une véritable fièvre de railways s’est emparée de l’Union. En consultant le dernier manuel de M. Poor[1], on voit que, pour ces trois années seulement, la longueur moyenne de chemins de fer construits a atteint annuellement 6,500 milles et dépassait pour l’ensemble 19,500, c’est-à-dire une longueur plus grande que celle de tous les chemins de fer anglais : en trois ans on a donc fait autant de railways que la Grande-Bretagne en quarante ans. Quand on arrive à ce degré d’activité furieuse, ce n’est plus une marche normale, c’est une course folle, et la réaction n’est pas loin de se faire : elle commença vers le milieu de 1873, et en septembre atteignit son apogée par la débâcle de la grande maison Jay Cooke. Ces rois de la finance new-yorkaise construisaient, soutenaient au moins de leurs deniers et de ceux de leurs déposans le chemin du Northern-Pacific, qui dut immédiatement arrêter sa course triomphante du Lac-Supérieur vers l’Orégon. La panique fut telle, tant de gens avaient pris des intérêts dans cette affaire et se trouvaient tout à coup ruinés, que pendant dix jours la bourse des valeurs fut fermée, et que de mémoire d’homme on ne vit à New-York pareille crise financière. Ni le vendredi noir de 1869, ni

  1. Manual of the railroad of the United-States, by Henry V. Poor, New-York 1875.