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Américains n’ont allié autant d’habileté à autant de hardiesse. Pour se garantir des avalanches, on a protégé la voie soit par des palissades, soit, dans les endroits les plus dangereux, par des hangars couverts, snow sheds, qui forment une longueur totale de plus de 50 kilomètres. A la descente, le train marche sans locomotive, par l’effet seul de la gravité, et retenu, modéré par des freins ; à la montée, il faut deux locomotives, et elles remorquent le train haletantes, comme essoufflées. La traversée des montagnes pensylvaniennes, de la chaîne des Alleganies, que l’on citait naguère comme une merveille, est de beaucoup dépassée par la traversée de la Sierra-Nevada, la plus étonnante, la plus audacieuse que l’on ait jusqu’à présent exécutée.

Ces sites de la Sierra, qui ont tant exercé la sagacité des hommes techniques, des constructeurs de railways, offrent au touriste le plus merveilleux spectacle. Quand on arrive sur la ligne de faîte en venant des déserts de l’ouest, on salue tout heureux les bouquets de noirs sapins, les ruisseaux aux eaux vives et babillardes, et les lacs à la surface miroitante : il y avait si longtemps qu’on n’avait plus vu d’eau ni d’arbres ! Sur ces hauteurs, le froid est très vif en toute saison ; mais, à mesure qu’on descend, on passe de la température de la glace à des chaleurs torrides. On aperçoit au passage les placers aux jaunes graviers et les campagnes californiennes, où de nouvelles essences, les chênes, les pins, les manzanillas aux petites pommes dont se nourrissent les Indiens, ont remplacé les arbres des hautes cimes. Voici enfin le Sacramento, qui arrose une plaine plantureuse, et sur le fleuve la ville qui en porte le nom. Pour beaucoup, c’est le terme du railway : il est plus court et plus confortable de rejoindre San-Francisco par le fleuve, par les baies aux eaux tranquilles, que de continuer la route en chemin de fer. Il est d’ailleurs si doux, si l’on vient directement de New-York, de se reposer sur un steamer luxueux des secousses d’un voyage de sept jours !

Il a fallu la guerre de sécession pour que le chemin de fer du Pacifique fût construit. Dès le commencement de ce siècle, bien avant de faire la conquête de la Californie, les Américains avaient songé à ouvrir une route entre les deux océans. Sans s’inquiéter si le pays à traverser leur appartenait ou non, ils avaient lancé en avant leurs explorateurs, dont quelques-uns, dans cette marche périlleuse vers l’inconnu, s’étaient couverts de gloire. Dès que les placers furent découverts et que la Californie, l’Orégon, les territoires de Washington et d’Utah commencèrent à se peupler, le gouvernement fédéral décida de rejoindre l’Atlantique au Pacifique par une voie ferrée. Bien des projets furent présentés. Il y en avait sept particulièrement à l’étude quand le sud se révolta contre