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sont souvent injectées de créosote, de sels métalliques, ou goudronnées et même carbonisées ; ainsi préparées, elles ne pourrissent plus. Comme les forêts ne sont pas loin et que l’on gaspille volontiers le bois, on n’épargne pas les traverses, et elles sont très rapprochées ; cela supplée en partie à l’insuffisance du ballast. Les rails sont en fer et depuis quelque temps en acier, ou simplement à tête ou champignon d’acier. Ils durent alors beaucoup plus, parce que le métal est plus dur, mieux soudé, plus homogène et plus résistant : il ne s’exfolie pas, comme dans les rails en fer. La dépense est plus forte au début, mais au demeurant il y a économie. La forme des rails est celle dite à patins ; ils sont directement cloués sur les traverses et réunis de l’un à l’autre par des éclisses ou bandes de fer rivées au rail sur le côté. C’est là le rail Vignoles, ainsi nommé en Europe du nom de l’ingénieur anglais qui en a propagé l’emploi. Les Américains ont trouvé du premier coup cette forme si simple, si commode, si sûre, alors qu’ailleurs on a pendant quarante ans discuté sur le meilleur modèle de rails et de coussinets, et que les ingénieurs se sont évertués à l’envi à dessiner les contours des rails à simple et à double champignon (ces derniers pouvant être retournés), ou à défendre successivement le rail Brunel et le rail Barlow, creux en dessous, en forme d’U ou de V renversé. Le rail à patins, le rail américain était là, et ce fut l’Allemagne qui la première l’adopta.

Les accessoires de la voie, tels que les croisemens et les changemens, les plaques tournantes, les grues hydrauliques et les châteaux d’eau pour l’alimentation des locomotives, les signaux sémaphoriques pour assurer la marche des trains, tout cet ensemble est bien installé, et offre même sur quelques points des modifications heureuses dont les ingénieurs européens pourraient utilement s’inspirer. Les gares, même, celles de départ et d’arrivée sur les plus grandes lignes, et sauf quelques exceptions, comme à Chicago, sont très modestement construites, la plupart du temps en bois, sans façade monumentale, sans cette enfilade de bureaux et de salles d’attente qui les distingue en d’autres pays. Ici, tout est réduit au strict nécessaire, et l’on occupe le moins d’espace et le moins d’employés possible. Il est certaines petites gares où un seul agent fait toute la besogne, distribue les billets, marque et inscrit les colis, veille au télégraphe. On a ménagé dans quelques stations principales, eu égard aux soins délicats dont on entoure partout le sexe faible, un petit salon de repos pour les dames. Faut-il dire que les hommes ne se sont pas oubliés, et que partout s’étale le bar-room, la buvette sacramentelle, souvent luxueuse, où les boissons nationales sont immédiatement servies par l’échanson debout et vigilant au premier signe du voyageur ?