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un personnage connu : c’est l’ex-gouverneur de l’état de New-York, le grand-constable ou chef de la police, le shériff, le président de la banque commerciale, le fondateur de l’observatoire d’Albany. La poste, devinant déjà que le nouveau mode de locomotion répondrait surtout à ses besoins, a délégué l’un de ses représentans. Les véhicules sont attelés l’un à l’autre par des chaînes de fer ; ils ont la forme des voitures de messageries encore en usage en Amérique, lourdes, massives, suspendues sur des ressorts de cuir, et rappelant les coches des siècles passés.

La compagnie qui inaugurait ainsi aux États-Unis le premier chemin de fer à traction de locomotive avait reçu sa charte en 1826. Le railroad qu’elle venait de construire était celui de Mohawk et Hudson, ainsi appelé parce qu’il faisait communiquer les vallées de ces deux cours d’eau, entre Albany et Schenectady, dans l’état de New-York. Les rives de l’Hudson, qui avaient vu passer le premier bateau à vapeur, devaient aussi saluer la première locomotive américaine. La voie avait 16 milles de long, un peu moins de 26 kilomètres[1] ; on en avait commencé les travaux seulement en 1830. Elle traversait librement les lieux habités, elle montait à découvert au flanc des collines : nulle restriction, nulle crainte à son approche, alors qu’en tant d’autres pays le nouveau mode de locomotion rencontrait nombre d’opposans, même parmi les gens de science, et ne devait que bien plus tard être définitivement accepté. Ici au contraire, comme si l’on avait eu conscience de la grande révolution économique qui se préparait et des avantages infinis qui devraient en être pour tous la conséquence, chacun avait applaudi à l’invention nouvelle. Les terrains avaient été généreusement offerts à la compagnie ou cédés au-dessous de leur prix réel. Sur quelques points, les chevaux servaient de renfort à la locomotive ; dans tous les cas, elle allait lentement. Les billets étaient vendus dans les boutiques ou par le conducteur. Dans la traversée des hauteurs, le train était hissé au moyen d’une corde mise en mouvement par une machine à vapeur fixe, et lâché à la descente comme sur une montagne-russe. Des leviers manœuvres par des garde-freins servaient à ralentir ou arrêter le convoi. Tel était dans son ensemble le premier chemin de fer américain, alors que l’Angleterre venait à peine d’établir un court tronçon de ces voies nouvelles, et que la France assez timidement essayait de la suivre.

Aujourd’hui les États-Unis, qui entraient si résolument dans une arène encore toute pleine d’inconnu, ont à eux seuls une longueur de lignes ferrées presque égale à celle de tous les autres pays du globe. Hier ils ont réuni les deux océans, l’Atlantique au Pacifique,

  1. Le mille anglais et américain est égal à 1,609 mètres.