Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Autriche, et, dit-on, exécutés chacun en une journée. Ils sont plus grands que nature, conçus, dessinés et traités dans une manière italienne, ample, décorative, un peu théâtrale, très ingénieusement appropriée à leur destination. Il y a là du Véronèse si bien fondu dans la manière flamande que Rubens n’a jamais eu plus de style et n’a jamais été cependant plus lui-même. on y voit une façon de remplir la toile, de composer une arabesque grandiose avec un buste, deux bras et deux mains diversement occupés, d’agrandir un bord, de rendre un pourpoint majestueusement sévère, d’assurer le contour, de peindre grassement et à plat, qui ne lui est pas habituelle dans ses portraits et qui rappelle au contraire les meilleurs morceaux de ses tableaux. La ressemblance est aussi de celles qui s’imposent de loin par quelques accens justes et sommaires et qu’on pourrait appeler une ressemblance d’effet. Le travail est d’une rapidité, d’un aplomb, d’un sérieux, et, le genre admis, d’une beauté extraordinaires. C’est tout à fait superbe. Rubens était là dans ses habitudes, sur son terrain, dans son élément de fantaisie, d’observation très lucide, mais hâtive et d’emphase ; il n’aurait pas procédé autrement pour un tableau : la réussite était certaine.

Les deux autres, achetés récemment, sont fort célèbres ; on y attache un très grand prix. Oserai-je dire qu’ils sont des plus faibles ? Ce sont deux portraits d’ordre familier, deux petits bustes, un peu courts, assez étriqués, présentés de face, sans nul arrangement, coupés dans la toile sans plus d’apprêt que des têtes d’études. Avec beaucoup d’éclat, de relief, de vie apparente, — d’un rendu extrêmement habile, mais succinct, ils ont précisément ce défaut d’être vus de près et vus légèrement, appliqués et peu étudiés, d’être en un mot traités par les surfaces. La mise en place est juste, le dessin nul. Le peintre a donné des accens qui ressemblent à la vie ; l’observateur n’a pas accusé un seul trait qui ressemble bien intimement à son modèle : tout se passe à l’épiderme. Au point de vue du physique, on cherche un dessous qui n’a pas été observé ; au point de vue du moral, on cherche un dedans qui n’a pas été deviné. La peinture est à fleur de toile, la vie n’est qu’à fleur de peau. L’homme est jeune, trente ans environ ; la bouche est mobile, l’œil humide, le regard direct et net. Rien de plus, rien au-delà, ni plus au fond. Quel est ce jeune homme ? qu’a-t-il fait ? A-t-il pensé ? a-t-il souffert ? aurait-il vécu lui-même à la surface des choses, comme il est représenté sans grande consistance à la surface d’un canevas ? Voilà de ces indications physionomiques qu’un Holbein nous donnerait avant de songer au reste, et qui ne s’expriment point par une étincelle dans un œil ou par une touche sanguine à la narine.

Notre art, je veux dire l’art de peindre, est peut-être plus