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un peu et que l’olympe l’ennuie. Voyez sa grande série allégorique du Louvre : il ne faut pas longtemps pour découvrir ses indécisions quand il crée un type, son infaillible certitude quand il se renseigne, et pour comprendre quel est le fort et le faible de son esprit. Il y a là des parties médiocres, il y en a d’absolument nulles qui sont des fictions ; les morceaux supérieurs que vous Y remarquez sont des portraits. Chaque fois que Marie de Médicis entre en scène, elle y est parfaite. Le Henri IV au portrait est un chef-d’œuvre. Personne ne conteste l’insignifiance absolue de ses dieux : Mercure, Apollon, Saturne, Jupiter ou Mars.

De même, dans son Adoration des mages, il y a des personnages principaux qui sont toujours nuls et des comparses qui toujours sont admirables. Le mage européen lui porte malheur : on le connaît, c’est l’homme du premier plan, celui qui figure avec la Vierge, soit debout, soit agenouillé, au centre de la composition. Rubens a beau le varier de toutes les manières, l’habiller de pourpre, d’hermine ou d’or, lui faire tenir l’encensoir, offrir la coupe ou l’aiguière, le rajeunir ou le vieillir, dépouiller sa tête sacerdotale, la hérisser de crins durs, lui donner des airs recueillis ou farouches, des yeux fort doux ou des mines de vieux lion, — quoi qu’il fasse, c’est toujours une figure banale dont le seul rôle consiste à revêtir une des couleurs dominantes du tableau. Il en est de même de l’Asiatique. L’Éthiopien au contraire, le nègre grisâtre, avec son masque osseux, camard, livide, illuminé par deux étincelles luisantes, l’émail des yeux, la nacre des dents, est immanquablement un chef-d’œuvre d’observation et de naturel, parce que c’est un portrait, et le portrait sans nulle altération du même individu.

Que conclure de tout cela, sinon que Rubens, par sa nature, ses instincts, ses besoins, ses facultés dominantes, et même par ses infirmités, car il en avait, était plus qu’aucun autre destiné à faire de merveilleux portraits ? Il n’en est rien. Ses portraits sont faibles, peu observés, superficiellement construits, et partant de ressemblance vague. Quand on le compare à Titien, Rembrandt, Raphaël, Sébastien del Piombo, Velasquez, Van-Dyck, Holbein, Antoine More, j’épuiserais la liste des plus divers et des plus grands et je descendrais de plusieurs degrés jusqu’à Philippe de Champagne au XVIIe siècle, jusqu’aux excellens portraitistes du XVIIIe, on s’aperçoit que Rubens manquait de cette naïveté attentive, soumise et forte, qu’exige, pour être parfaite, l’étude du visage humain. Connaissez-vous un portrait de lui qui vous satisfasse en tant qu’observation fidèle et profonde, qui vous édifie sur la personnalité de son modèle, qui vous instruise et je dirai qui vous rassure ? De tous les hommes d’âge et de rang, de caractère et de tempérament si divers dont il nous a laissé l’image, en est-il un seul qui s’impose