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qu’il y a de positif, c’est que Jordaens attendit, pour le suivre en ces voies nouvelles, que son camarade d’atelier fût devenu plus expressément Rubens.

Un des volets, celui de la Visitation, est de tous points délicieux, Rien de plus sévère et de plus charmant, de plus sobre et de plus riche, de plus pittoresque et de plus noblement familier. Jamais.la Flandre ne mit autant de bonhomie, de grâce et de naturel à se revêtir du style italien. Titien a fourni la gamme, un peu dicté les tons, il a coloré l’architecture en brun marron, conseillé le beau nuage gris qui luit à la hauteur des corniches, peut-être aussi l’azur verdâtre qui fait si bien entre les colonnes ; mais c’est Rubens qui, d’après la nature, a trouvé la Vierge avec son gros ventre, sa taille cambrée, son costume ingénieusement combiné de rouge, de fauve et de bleu sombre, son vaste chapeau flamand. C’est lui, lui tout seul, qui a dessiné, peint, coloré, caressé de l’œil et de la brosse, cette jolie main lumineuse et tendre, qui s’appuie comme une fleur rosâtre sur la balustrade en fer noir. De même qu’il a imaginé la servante, l’a coupée dans le cadre et n’a montré de cette blonde personne aux yeux bleus que son corsage échancré, sa tête ronde, aux cheveux soulevés, ses bras en l’air soutenant une corbeille de joncs. Bref, Rubens est-il déjà lui-même ? Oui. Est, Il tout lui-même et rien que lui-même ? Je ne le crois pas. Enfin, a-t-il fait mieux que cela ? Non, d’après les méthodes étrangères ; mais certainement oui d’après la sienne.

Entre le panneau central de la Descente de croix et la Mise en croix, qui décore le transept du nord, tout diffère : le point de vue, les tendances, la portée, même un peu les méthodes et jusqu’aux influences dont les deux œuvres se ressentent diversement. Un coup d’œil suffit pour en avertir. Et si l’on se reporte au temps où parurent, à deux années d’intervalle, ces pages significatives, on comprend que, si l’une satisfit mieux, convainquit plus, l’autre dut étonner bien davantage et par conséquent fit apercevoir quelque chose de bien plus nouveau. Moins parfaite en ce qu’elle est plus agitée et parce qu’elle ne contient aucune figure aussi parfaitement aimable à voir que la Madeleine, la Mise en croix en dit beaucoup plus sur l’initiative de Rubens, sur sa passion, sur ses élans, sur ses audaces, sur ses bonheurs, en un mot sur la fermentation de cet esprit rempli de ferveur pour les nouveautés et de projets. Elle ouvre une carrière plus large. Il est possible qu’elle soit moins magistralement accomplie ; elle annonce un maître bien autrement original, aventureux et fort. Le dessin est plus tendu, moins tenu, la forme plus violente, le modelé moins simple et plus ronflant ; mais le coloris a déjà les chaleurs profondes et la résonnance qui seront la grande ressource de Rubens quand il négligera la vivacité des