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comme un souvenir ineffaçable de la première. A la date où nous sommes, il possède l’une et s’en inspire, l’autre n’est pas née, et cependant il la devine. Déjà l’avenir se mêle au présent, le réel à l’idéale divination. Dès que l’image apparaît, elle a sa double forme. Non-seulement elle est exquise, mais pas un trait ne lui manque. Ne semble-t-il pas qu’en la fixant ainsi dès le premier jour Rubens entendit qu’on ne l’oubliât plus, ni lui, ni personne ?

Au surplus c’est la seule grâce mondaine dont il ait embelli ce tableau austère, un peu rigide, un peu monacal, absolument évangélique, si l’on entend par là la gravité du sentiment et de la manière, et si l’on songe aux rigueurs qu’un pareil esprit dut s’imposer. En cette circonstance, vous le devinez, une bonne partie de sa réserve lui vint de son éducation italienne autant que des égards qu’il accordait à son sujet.

La toile est sombre malgré ses clartés et l’extraordinaire blancheur du linceul. Malgré ses reliefs, la peinture est plate. C’est un tableau à bases noirâtres sur lequel sont disposées de larges lumières fermes, aucunement nuancées. Le coloris n’est pas très riche ; il est plein, soutenu, nettement calculé pour agir de loin. Il construit le tableau, l’encadre, en exprime les faiblesses et les forces, et ne vise point à l’embellir, il se compose d’un vert presque noir, d’un noir absolu, d’un rouge un peu sourd et d’un blanc. Ces quatre tons sont posés bord à bord aussi franchement que peuvent l’être quatre notes de cette violence. Le contact est brusque et ne les fait pas souffrir. Dans le grand blanc, le cadavre du Christ est dessiné par un linéament mince et souple, et modelé par ses propres reliefs, sans nul effort de nuances, grâce à des écarts de valeurs imperceptibles. Pas de luisans, pas une seule division dans les lumières, à peine un détail dans les parties sombres. Tout cela est d’une ampleur et d’une rigidité singulières. Les bords sont étroits, les demi-teintes courtes, excepté dans le Christ, où les dessous d’outremer ont repoussé et font aujourd’hui des maculatures inutiles. La matière est lisse, compacte, d’une coulée facile et prudente. A la distance où nous l’examinons, le travail de la main disparaît ; mais il est aisé de deviner qu’il est excellent et dirigé en toute assurance par un esprit rompu aux belles habitudes, qui s’y conforme, s’applique et veut bien faire. En tout, Rubens se souvient, s’observe, se modère, possède toutes ses forces, les subordonne et ne s’en sert qu’à demi. En dépit de toutes ses contraintes, c’est une œuvre singulièrement originale, attachante et forte, Van -Dyck y prendra ses meilleures inspirations religieuses. Philippe de Champagne en sera très frappé, mais n’en imitera, j’en ai peur, que les parties faibles, et en composera son style français. Vœnius dut certainement applaudir. Que dut en penser Van-Noort ? Ce