Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne dépasse pas 60 ou 80 lieues au maximum, déjà exploitées par d’autres saladeros, et où il lui faut puiser 400,000 bêtes à cornes par an, on comprendra aisément qu’un jour doive arriver où l’usine chômera faute de matière première. Le rayon en effet ne saurait s’étendre, et l’on ne voit pas comment les moyens de transport pourraient être créés ; il n’y a pas de transport possible pour ces quantités et ces sortes d’animaux, et le voyage à pied est le seul praticable ; on peut donc prévoir que dans un avenir prochain l’établissement Liebig sera réduit à l’état nomade, obligé de se transporter ailleurs en attendant que le pays où il est se soit repeuplé. Quoi qu’il en soit, cette usine est la seule qui dénote dans ce vaste et riche pays un progrès réel sur la pratique d’un siècle entier d’immobilité et de routine qui épuisait les troupeaux sans les utiliser.

En somme, si nous considérons les richesses sans nombre, multipliantes à l’infini, des pampas de l’Amérique du Sud, et l’emploi misérable qui en est fait, il faut convenir qu’il y a dans le système d’exploitation un vice profond, et que là plus qu’en aucun lieu du monde l’homme gaspille sans profit les trésors que la nature a mis à sa portée. Est-ce seulement apathie, est-ce indifférence, impossibilité de produire ou manque de besoin ? C’est tout cela et quelque chose de plus. Le vrai mal qui ronge le pays, c’est l’absence d’un système économique et financier adapté à sa situation. Depuis le jour où les créoles ont pris en 1810 l’administration de leurs affaires, ils ont, il faut bien le dire, fait le plus souvent de bien mauvaise politique et toujours de mauvaises finances. Ils ne se sont jamais préoccupés de la nécessité de développer l’industrie ni le travail sous aucune forme. Dominés par des nécessités d’argent toujours pressantes, cherchant non pas les charges les moins lourdes, mais les impôts faciles à lever, tous les gouvernemens qui se sont succédé, obligés de recourir aux douanes, ont eu le tort de ne les considérer que comme une source de revenus pure et simple, au lieu d’y voir un élément protecteur du progrès local. Un pareil système ne peut aboutir qu’à l’anéantissement de l’agriculture et de l’industrie, en même temps qu’au développement excessif du commerce étranger, qui est la pire forme du parasitisme, absorbant à son profit toutes les richesses du pays, éloignant le producteur indigène de son marché naturel, et endormant le peuple entier dans l’oisiveté et une abondance factice. Tels ont été l’aveuglement et l’ignorance qui ont présidé à la répartition des charges qu’il semble que ce soit un parti-pris de frapper au hasard tous les produits, sans autre règle que d’infliger des droits élevés aux objets qui sont d’un besoin plus absolu ou d’un emploi plus général. Les