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hangars de bois de l’allure la plus primitive, délabrés, incommodes, plantés généralement au hasard, sans plan préconçu, sans que l’on ait même songé à se préoccuper de l’économie de la fabrication.

Le chef de l’usine, le saladériste, dirige ses affaires de loin, paraît rarement au saladero et quitte peu Buenos-Ayres ou Montevideo, les deux seuls marchés des cuirs verts et de la viande salée. C’est là qu’il vend ses produits, acte préalable de la fabrication. — Par un bouleversement des lois industrielles, le saladériste en effet vend sa marchandise, non-seulement avant de l’avoir fabriquée, mais avant d’avoir songé à acheter la matière première, et, qui plus est, il en touche le prix en signant les contrats à livrer avec les maisons d’exportation. Si l’on calcule que chaque chargement de 10,000 cuirs vaut de 300,000 à 400,000 francs, on s’expliquera l’importance de ces découverts, faits sans autre garantie qu’un simple reçu et une promesse de livrer une marchandise dont le vendeur ne dispose pas ; ajoutons que, sauf les événemens imprévus du commerce, ces contrats sont toujours exécutés à la lettre, et que, pour n’être garantis que par la bonne foi, les avances faites ne sont en rien aventurées. Le saladériste a du reste vite employé ces capitaux ; aussitôt les contrats signés, il remet les espèces nécessaires à des agens spéciaux, appelés capataces, qu’il envoie dans la campagne faire les achats, former les troupes et amener les animaux au saladero pour l’abatage, après les avoir payés, suivant l’usage, à la sortie même de l’estancia. Le capataz est la cheville ouvrière de cette industrie, et le triple rôle qui lui est confié : acheter, choisir et payer, dit assez quelles qualités exceptionnelles on exige de lui ; de son intelligence dans le choix des animaux, qui est l’acte le plus important de la fabrication, dépend la fortune du saladériste. Ces agens sont toujours des pampasiens indigènes, connaissant par le menu la valeur des animaux de chaque propriété et sachant dire, à la seule inspection d’une troupe de mille animaux sur pied, ce qu’elle rendra en moyenne en poids de cuir, de graisse ou de viande. Les achats se font d’octobre à mars, dès la fin du printemps jusqu’à la fin de l’été. Le capataz enrôle les hommes pour l’aider dans la formation et la conduite de la troupe ; douze ou quinze hommes sont nécessaires par mille animaux ; chaque homme mène avec lui six ou huit chevaux de rechange.

Les animaux de l’estancia réunis à la demande du capataz, le choix est fait par lui personnellement, et les bêtes choisies sont enfermées à part dans un corral, ou, s’il n’en existe pas, dans un cercle d’hommes à cheval, et mises à sa disposition ; elles ne sont point contre-marquées, étant destinées à être abattues