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qui régissaient l’embarquement et le débarquement des cargaisons, formaient en Espagne, aussi bien qu’en Amérique, une aristocratie commerciale où les nobles entraient sans déroger. Toutes les lois étaient faites en faveur de ces monopoliseurs sans aucun souci de l’intérêt privé du colon ni de l’intérêt public des colonies.

En quelques mots, nous en ferons connaître l’esprit. Une ordonnance de 1602, qui fut considérée comme un progrès sur les précédentes, permit pour la première fois l’exportation par la voie de la Plata de 2,000 fanegas[1] de blé, de 1,000 quintaux de graisse et de viande sèche pour la côte de Guinée pour y être échangés contre des nègres. On se demande à quoi pouvait servir l’importation des nègres, sinon à augmenter le nombre des consommateurs dans un pays où, la production étant prohibée, tout travail était superflu, et où, en permettant l’entrée de nègres, on défendait en même temps l’exportation de tout ce qu’ils pourraient produire. En 1718, le roi accorda enfin à un Espagnol le droit d’expédier directement deux petits navires par an de la Péninsule pour la Plata avec autorisation de rapporter en retour les produits de cette contrée. Ce mince progrès disparut lui-même dix ans plus tard devant les réclamations des monopoliseurs, et les exportations de la Plata durent reprendre la voie du Pacifique. Une pareille législation équivalait à une prohibition absolue d’exportation, étant donnée la nature des produits de la pampa, alors exclusivement composés de cuirs de bœufs, marchandise lourde et encombrante. Une seule voie de salut restait ouverte au colon : c’était la contrebande. Elle prit un développement considérable dans les ports voisins occupés par les Portugais, et sauva les provinces espagnoles d’une ruine complète en procurant à la production spontanée du pays les moyens de se répandre au dehors. Le champ à exploiter était tellement vaste, que les contrebandiers pouvaient former des compagnies puissantes, disposaient d’une véritable flotte, de ports de ravitaillement, et avaient à leurs ordres des armées de travailleurs entretenus par eux, faisant pour leur compte l’exploitation des animaux inutiles à leurs propriétaires. En raison du développement excessif et sans profit des troupeaux, les hacendados d’alors les avaient laissés vivre à l’abandon, se contentant d’en tirer leur nourriture quotidienne et renonçant à marquer les nouveau-nés ; il était rare même qu’ils s’occupassent d’abattre une quantité quelconque d’animaux pour en vendre le cuir, alors de peu de valeur et d’un placement difficile.

L’exploitation de la pampa au XVIIIe siècle était donc, à

  1. Une fanega équivaut presque exactement à un hectolitre.