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d’Iviron, vieillard d’une certaine instruction et assez sagace pour se rendre compte des différences de style qui caractérisent des œuvres si inégales, nous a donné une réponse plus satisfaisante. Selon lui, les fresques de Karyès seraient les seules productions authentiques de Pansélinos : il faudrait restituer celles de Lavra, de Vatopédi, de Dochareion, à ses mathètes, à ses disciples. Notre impression personnelle nous a amené à accepter cette tradition comme la plus plausible. — De l’examen attentif de toutes ces peintures, il résulte pour nous la conviction que les plus parfaites, celles de Karyès, s’imposent avec un caractère irrécusable d’ancienneté et peuvent seules être restituées au maître primitif, quel qu’il soit, qui nous apparaît de prime abord en pleine possession de son art : il doit avoir vécu entre le XIe et le XIIIe siècle. La seconde époque de la peinture athonite, celle de Lavra, de Vatopédi et autres monastères, appartient à ses disciples ; ils la prolongent durant le XIVe et le XVe siècle, jusqu’à la fin du XVIe peut-être, et gardent heureusement sa tradition, avec des éclairs d’individualité çà et là, bien qu’avec un style moins accusé déjà, un sentiment moins sincère de la ligne et du coloris. La troisième époque, du XVIe siècle à nos jours, n’est qu’une décadence rapide, mal déguisée par le respect des formules traditionnelles : elle nous conduit des assises conciliaires d’Iviron aux ombres chinoises qui ornent l’église neuve de Zographo.

Pour justifier ce que pourrait avoir d’étrange cette théorie d’un art naissant du premier coup à la perfection et s’en éloignant par une dégénérescence continue, comparons-le à l’art italien, son contemporain ; l’avènement des deux jumeaux se produit avec un caractère frappant de ressemblance. Aussi bien le nom de Pansélinos appelle naturellement celui de Giotto ; nuls maîtres n’ont des points de contact plus nombreux, et nous ne serions pas surpris qu’il eût existé des rapports très directs entre les trécentistes florentins et ceux de l’Athos. Telle page de ces derniers pourrait être introduite dans la chapelle del Carmine sans qu’une dissonance dans le style vînt dénoncer l’emprunt étranger. — En Italie comme en Orient, la mosaïque a seule gardé les procédés de l’art durant les bas siècles ; celles qu’on voit encore en petit nombre à l’Athos ne diffèrent en rien des œuvres laissées dans la péninsule par les ouvriers grecs. Un jour on abandonne cet instrument rebelle ; Cimabuë, un élève des Grecs, lui aussi, tâtonne un instant, et soudain Giotto paraît, montant du premier essor au sommet de son art. Les choses durent se passer de même à Karyès ; Pansélinos aura eu sans doute son Cimabuë : l’absence de documens antérieurs au maître ne nous permet pas de fixer la durée de cette période d’incubation ; l’entier naufrage de la civilisation byzantine nous empêche de déterminer la