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légende le fait naufrager sur ces côtes en venant d’Italie et retrouver sain et sauf par les cénobites sous un de ces arbustes où la vague l’avait porté. Iviron fut fondé au Xe siècle par les Ibères ou Géorgiens et compte encore trois cents moines. Aghia-Lavra (la sainte réunion) est la doyenne de la communauté, la première maison de l’Athos : Avramios de Irébizonde, en religion saint Athanase, s’y établit en 964 ; c’est le couvent le plus riche en biens-fonds et en merveilles de l’art. Ses vastes bâtimens s’étendent sur la croupe accessible de la montagne ; d’Iviron, où l’on quitte la grève, on arrive en six heures à Lavra par un sentier féerique, en corniche sur la mer, au travers de véritables forêts vierges, les plus luxuriantes de tout ce beau pays. Le chemin, naturellement chaussé de dalles de marbre, s’égare sous un dais de lianes et de lierres, dont le rideau flottant aux branches des chênes s’écarte à la coulée des torrens, nous laissant voir sur nos têtes les crevasses blanches de neige d’où ils descendent, et, plus haut encore, le front chauve du pic qui rosit au couchant dans la nue.

Force nous est de laisser à Lavra nos chevaux ; il faut nous embarquer dans un calque pour contourner les parois impraticables de la montagne qui termine la presqu’île et revenir dans le golfe occidental de Monte-Santo. Les aspects ont changé soudain, les forêts ont disparu : nous glissons dans un double courant de saphirs et de turquoises, à l’ombre des roches, sous la muraille de marbre haute d’un millier de pieds. Cette muraille est habitée pourtant, et nous avons peine à en croire nos yeux. Des skytes sont perchés à toutes les anfractuosités du roc, dans ce site invraisemblable que seul le crayon pourrait rendre : les misérables troglodytes qui hantent ces trous de pierre à mi-ciel en descendent par des puits creusés dans la paroi, par des échelles et des cordes, jusqu’au bord de l’eau, où les barques de Lavra leur apportent leur subsistance. Plus loin, là où la pente s’adoucit relativement et où quelque végétation trouve place, les skytes s’étagent par centaines, du rivage jusqu’aux sapins du sommet ; les premiers grillent sur le sable de la grève, les derniers frissonnent dans la neige des hauteurs. Ce sont ces grappes de points blancs que nous apercevions à la clarté de la lune en arrivant. Cette ville d’ermitages, qui imprime un si singulier caractère au flanc méridional de l’Athos, s’appelle Kapsokaliva et dépend du monastère de Lavra. Tandis que notre caïque remonte au nord-ouest après avoir doublé la pointe, les aspects changent encore : le versant occidental de la montagne s’infléchit, des gorges se creusent sous la morsure des cascades ; sur les pitons de roches qu’elles découpent s’élèvent les couvens les plus fièrement situés que nous ayons vus : Aghios-Dionysios, Aghios-Paulos, Simopétra. Tous trois dominent la mer à