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orientale et finit sur le trône patriarcal de Sainte-Sophie, à moins qu’abreuvé de dégoûts il ne revienne à sa montagne bâtir un nouveau couvent, comme le fondateur de Stavronikita, le patriarche Jérémie, et mourir une seconde fois au monde sous la bure brune du caloyer.

Tandis que la république athonite grandissait et s’émancipait de plus en plus dans le chaos byzantin, qu’elle attirait à elle tout ce qui restait de sécurité, d’aisance et de lueurs intellectuelles, l’empire s’effondrait. Un jour vint où les guetteurs de la tour avancée qui protège le couvent de Lavra signalèrent en mer, au lieu de la trirème à la proue dorée chargée des présens royaux, une lourde tartane, portant le croissant à son enseigne. Ce n’étaient plus ces pirates barbaresques qu’on avait tant de fois repoussés depuis trois siècles, c’était un amiral de Mahomet qui venait imposer la loi du vainqueur de Byzance. Cette fois encore la diplomatie des moines ne fut pas en défaut : le bon accueil fait aux nouveaux maîtres de l’Orient leur valut la confirmation de tous leurs privilèges. En paix avec les sultans, favorisés par quelques-uns, comme Sélim le Magnifique, qui rebâtit Xéropotamo, ils continuèrent à s’appuyer sur les princes serbes et valaques, et de plus en plus sur les tsars de Moscou. Ils se maintinrent ainsi jusqu’au commencement de ce siècle : à ces époques prospères, leur nombre se serait élevé à plus de dix mille. C’est à la fin de cette courte esquisse de leur histoire qu’il faut chercher les ombres. Les ressentimens de la Porte à la suite de la guerre de l’indépendance s’étendirent aux moines athonites : la diminution de la ferveur religieuse, partant des néophytes et des donations, imprima un temps d’arrêt, puis une rapide décadence à la communauté ; la sécularisation des biens ecclésiastiques en Moldo-Valachie, d’où elle tirait la meilleure part de ses revenus sur les legs des anciens voïvodes, lui porta surtout un coup mortel ; enfin, si peu qu’il ait soufflé sur l’Orient, l’esprit du siècle a- touché au vénérable édifice : c’est dire qu’il menace ruine. Nous aurons occasion de signaler les autres causes de l’anémie dont se meurt la pieuse nation en l’interrogeant sur sa valeur actuelle ; toujours est-il que nous l’avons trouvée réduite à 5,000 âmes environ, suivant l’estimation la plus favorable à 6,000.

Cette population est exclusivement composée de religieux soumis à la règle de saint Basile. L’usage de la viande, du tabac, des bains, leur est inconnu. Ils portent uniformément une robe.de laine noire, toute la barbe, et toute la chevelure ramenée en nattes sous un haut cylindre d’un tissu grossier. L’église orientale a conservé l’antique croyance nazaréenne que le fer ne doit pas toucher la tête de ceux qui se vouent au Seigneur : non tanget caput novacula, disaient les parens de Samson, Les moines n’ont pourtant pas à craindre les