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dont son épais cuir ne suffit pas à le garantir. Ces trous d’éléphans sont tellement nombreux qu’ils arrêtent à chaque instant la marche des voitures. Pendant un trajet de 200 kilomètres, M. Mohr affirme qu’il n’est pas sorti des vestiges de ces animaux. L’hippopotame, chassé vers l’intérieur par les colons de la côte, se rencontre encore en grand nombre dans certaines régions, comme par exemple les environs des lacs Mousingasi et Inchlabani. En 1870, John Dun en tua encore cent quatre, dont les peaux et les dents furent envoyées en Angleterre ; la chair d’hippopotame a un goût agréable qui tient le milieu entre le bœuf et le porc frais.

C’est dans ce pays giboyeux que se donnent rendez-vous les vieux Nemrods du Cap, de l’état de Natal et du Transvaal ; c’est là que M. Mohr eut presque chaque jour l’occasion d’exercer son adresse dans des aventures de sport plus ou moins dramatiques. Il s’y rencontra avec des chasseurs célèbres, comme le vieux tueur d’éléphans Hartley, qui était accompagné du peintre Thomas Baines, curieux type d’artiste-voyageur qui a promené son chevalet et sa boîte à couleurs à peu près chez toutes les peuplades sauvages, — ou comme les deux boers Osthuis et Ziesmann, vrais Bas-de-Cuir à cheval dont l’existence se passe dans les bois. Hartley était alors un vieillard de soixante-douze ans, à barbe blanche ; depuis l’âge de vingt-six ans, il chassait l’éléphant, et il pouvait se vanter d’avoir tué plus de mille de ces pachydermes. Il était connu dans toute la contrée comme le doyen des Nemrods de l’Afrique australe. « De taille moyenne, trapu et carré d’épaules, il monte à cheval avec l’adresse d’un jeune homme ; la vie en plein air et le soleil africain ont donné à son visage, à ses bras et ses mains la couleur du vieux bronze. Ce qu’il y a de curieux, c’est qu’il a des pieds-bots qui l’empêchent de marcher vite et l’obligent de faire toutes ses chasses à cheval. Le goût de la vie aventureuse est d’ailleurs dans la famille, car le vieillard est toujours accompagné dans ses expéditions par quelques-uns de ses fils, et il en résulte que les belles fermes qu’ils possèdent dans les Monts-Magalis restent souvent abandonnées pendant des mois et pendant des années entières. » Jusqu’alors il n’était encore arrivé à Hartley aucun accident de quelque gravité ; mais quinze jours après cette rencontre Il paya cher une imprudence qu’il commit malgré sa vieille expérience. Ayant tiré un rhinocéros blanc et l’ayant vu tomber, il était descendu de cheval, et, contrairement à la règle que suivent les chasseurs du pays, s’était approché de l’animal sans avoir rechargé sa carabine ; avant qu’il eût pu éviter le coup, le rhinocéros s’était relevé, l’avait saisi et lancé en l’air, et en retombant sur le dos de la bête il avait eu plusieurs côtes enfoncées. Heureusement un médecin écossais se trouvait dans le voisinage, et le vieux chasseur en fut quitte pour six semaines de repos forcé.

Qui n’aurait vu le boer hollandais que chez lui ne se douterait pas que