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cette même question, dormant obscurément dans la poussière des vieux livres, est reprise, discutée, et provoque à l’improviste une ardente polémique. C’est ce qui se passe aujourd’hui pour la question de la localisation des facultés intellectuelles. Le système de Gall paraissait oublié et relégué au rang des curiosités historiques ; mais à présent les expériences toutes récentes de MM. Hitzig, Ferrier et Dupuy, discutées presqu’à chaque séance de la société de biologie[1], semblent vérifier certaines parties de la doctrine phrénologique.

Certes il est intéressant de comparer la méthode moderne à la méthode de nos pères. L’erreur de nos devanciers nous a rendus prudens. Tant d’hypothèses ont été détruites par un fait, que nous préférons un seul fait à toutes les plus brillantes hypothèses. On procède plus lentement, mais plus sûrement, et au lieu d’édifier des systèmes on cherche à établir sur des bases solides les faits qui aideront nos successeurs à en édifier un. Que l’on compare le beau livre de Gall aux mémoires des physiologistes contemporains, et on ne trouvera aucun point de ressemblance ; d’ailleurs la forme même du travail s’est modifiée complètement. Autrefois un savant travaillait seul, et après de longues méditations produisait dans un gros livre le système qu’il avait construit de toutes pièces. De nos jours au contraire, la multiplicité des laboratoires, des sociétés savantes, des recueils scientifiques, a, pour ainsi dire, rendu cette individualité impossible. On travaille, on discute, on publie en commun, et il est bien rare que la solution d’un problème soit réservée en entier à une seule personne ; presque tous les contemporains y ont pris part, et ont apporté le concours de leur expérience et de leur érudition.

Le système de Gall, qui fit tant d’adeptes et qui souleva tant d’enthousiasme aussi bien que de colère, est oublié aujourd’hui, et il mérite de l’être. Gall était cependant un grand anatomiste. Le livre qu’il a publié avec Spurzheim fait époque dans l’histoire de l’anatomie comparée du système nerveux ; mais la phrénologie et la crâniologie, qui en est la conséquence, sont deux absurdités qui ne méritent pas d’être longuement réfutées ; elles reposent sur trois hypothèses : la première, c’est que toutes les facultés intellectuelles siègent dans une portion limitée et définie de l’encéphale, — la seconde, c’est que, plus cette faculté est développée, plus la région du cerveau où elle siège est volumineuse, que, plus elle est amoindrie, plus sa région cérébrale est petite, — la troisième, c’est qu’à cette région cérébrale répond une bosse ou une dépression indiquant l’état du cerveau, et par conséquent la prédominance ou l’affaiblissement de telle ou telle faculté de l’intelligence.

Les deux dernières hypothèses sont manifestement fausses, et nous

  1. Voyez les Comptes-rendus de la Société de biologie, années 1873-74-75, passim.