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se rencontreraient tous les modérés, où auraient trouvé naturellement leur place au premier rang ces princes d’Orléans qui se retirent aujourd’hui de la vie publique, qui déclinent au moins toute candidature dans les élections prochaines. M. le duc d’Aumale et M. le prince de Joinville, en écrivant aux électeurs de l’Oise et de la Haute-Marne qu’ils vont cesser volontairement de représenter, ont-ils obéi à des scrupules honorables, à un sentiment délicat d’une position exceptionnelle ? Toujours est-il qu’en se retirant des assemblées, où ils auraient sûrement retrouvé leur place, ils restent les serviteurs du pays, et aujourd’hui comme hier ils ne refuseraient pas leur appui à cette modération libérale qu’on rend parfois difficile dans le conflit des passions, des prétentions contraires.

M. le vice-président du conseil peut être tranquille, si cette politique de modération et de libéralisme qui doit être la politique de la France était menacée, il ne serait pas seul à la défendre, il trouverait des auxiliaires dans tous les partis sérieux. Il a pu le voir récemment lorsqu’au milieu d’une de ces séances confuses, tumultueuses, qui ont marqué la fin de l’assemblée, M. Naquet a eu l’étrange idée de proposer une amnistie en faveur des condamnés de l’insurrection de 1871. Des membres de la gauche eux-mêmes se sont empressés de réclamer la question préalable en accusant le protecteur des insurgés de se livrer tout simplement à une manœuvre électorale, et M. le ministre de la marine n’a rencontré que de la sympathie en prouvant que, si les déportes de la Nouvelle-Calédonie ne sont pas satisfaits de leur sort comme on l’a dit assez naïvement, ils n’ont à essuyer d’autres rigueurs que celles que comporte leur position. Le député radical a été un peu impatient, il aurait du attendre quelques jours de plus : sa proposition d’amnistie, par une douloureuse coïncidence, eût trouvé une justification complète dans cette cérémonie funèbre qui vient d’avoir lieu aux Invalides pour honorer la mémoire du général Lecomte et du général Clément Thomas, assassinés à Montmartre le 18 mars 1871. Voilà qui pouvait figurer dans l’exposé des motifs de l’amnistie !

À vrai dire, la réponse décisive à M. Naquet est dans les travaux de la commission des grâces pour ceux des condamnés qui ont mérité l’indulgence ; pour les autres, pour ceux qui subissent encore l’expiation, elle est dans les ruines qui encombrent encore Paris, dans les souvenirs lugubres, sanglans, de ce grand crime national accompli en présence et au profit de l’étranger. La réponse, elle est aussi dans le rapport que M. le général Appert vient d’adresser à l’assemblée sur les opérations judiciaires qui ont suivi l’insurrection de 1871. Là point de déclamations, point d’esprit de parti : c’est la simple série des faits, c’est la tragédie complète en chiffres, en statistiques. C’est le résumé d’une longue et patiente instruction, et le rapport de M. le