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dérés de cette constitution que M. le ministre de l’intérieur est censé représenter au pouvoir ? M. Buffet, dans une conversation rapportée par un journal anglais, aurait dit, assure-t-on, qu’il doutait sérieusement qu’on pût être du centre gauche et conservateur, que cela lui semblait incompatible. Authentique ou non, le mot résume ce système d’exclusion et d’élimination passionnée. Aux yeux de M. le ministre de l’intérieur, il n’y a de vrais conservateurs que ceux qui pensent comme lui : tout le reste est radical, plus ou moins révolutionnaire, et voilà un certain nombre d’honnêtes gens en France qui sont en train de passer radicaux sans y songer. Des hommes comme M. Casimir Perier, M. Laboulaye, M. Léon de Maleville, M. Léonce de Lavergne, M. l’amiral Pothuau, le général Chanzy, qui ont été nommés sénateurs, sont évidemment des radicaux ! M. le ministre de l’intérieur prétend former son armée à sa manière, avec ceux qui s’inquiètent fort peu de la constitution, qui gardent « les affections et les regrets » des anciens partis, bonapartistes ou légitimistes. À ceux-là et à ceux-là seuls, M. Buffet réserve le nom de conservateurs, sans se demander à quoi il s’engage.

Eh bien ! avant d’aller plus loin, M. le vice-président du conseil pourrait relire avec fruit les pages que M. le comte de Montalivet consacrait ici même, il y a deux ans, à l’illustre Casimir Perier et à son ministère en 1831. Il verrait là ce que c’est qu’un vrai ministre conservateur vivant dans les circonstances les plus difficiles, luttant sans trêve, sans faiblesse et sans peur, mais sans recourir jamais à des mesures extraordinaires et à des lois d’exception, ayant à se défendre non-seulement contre les excès révolutionnaires, mais contre les emportemens de réaction, non-seulement contre ses adversaires, mais encore contre ses amis, et livrant à la discussion de tous les jours ces fortes maximes, qui restent des règles : « À force de s’épurer, on s’isole. — Il faut respecter les lois, puiser dans l’ordre légal et dans la force morale qui en découle les moyens d’action et d’influence. — Il n’y a que les gouvernemens faibles qui recourent aux moyens exceptionnels. Toutes les fois que vous nous confierez l’arbitraire, nous refuserons d’en profiter. — Ce qui perdrait aujourd’hui la France, ce serait cette incrédulité qu’on chercherait à lui inspirer par de sinistres présages qui jetteraient le découragement dans les esprits, la défiance dans les intérêts, la lâcheté dans les cœurs. — Le gouvernement se fait un devoir d’être impartial envers tout le monde et de n’épouser les passions d’aucun parti. » Et avec ces pensées viriles Casimir Perier contribuait plus que tout autre à fonder un régime qui a donné dix-huit années de paix à la France. Si M. le vice-président du conseil s’inspirait de cette hardie et libérale politique, il renoncerait à son union conservatrice restreinte, qui n’est fondée que sur des antipathies et des malveillances communes ; il contribuerait lui-même à créer cette union constitutionnelle plus large où