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gage, la propagande de la désillusion et de la défiance au profit de l’union conservatrice opposée à l’union constitutionnelle. Sérieusement à quoi peut s’arrêter le pays au milieu de toutes ces contradictions dont les préfets sont chargés de dire le dernier mot dans le choix des candidatures privilégiées ou recommandées ?

Que M. le vice-président du conseil soit un conservateur, même un conservateur ardent, qu’il se préoccupe avant tout des nécessités de défense sociale, du danger des agitations révolutionnaires, des propagandes radicales, et qu’il se fasse un devoir de combattre la sédition sous toutes ses formes, soit, on ne peut pas s’en étonner. Là n’est pas la question, ou du moins on ne fera pas à M. le ministre de l’intérieur un crime de sa vigilance ; mais le meilleur moyen de servir les intérêts conservateurs à l’heure où nous sommes, ce n’est point évidemment d’exagérer le péril, d’assombrir passionnément, systématiquement la situation et d’appauvrir l’armée conservatrice de toutes les forces que peuvent lui offrir les partisans du nouveau régime. C’est le double piège où tombe à chaque instant M. le ministre de l’intérieur. Oui, sans doute, le radicalisme est un péril ; qu’on le combatte sans faiblesse, ce n’est pas seulement un intérêt conservateur, c’est aussi un intérêt libéral. Après cela, il est bien clair qu’un peu de sang-froid, ne gâterait rien, et c’est peut-être une étrange manière d’accréditer notre pays devant l’Europe que de le représenter comme un volcan toujours prêt aux éruptions. A entendre M. le ministre de l’intérieur, la guerre civile serait partout prête à éclater, les bandes insurrectionnelles seraient menaçantes et n’attendraient qu’une défaillance des pouvoirs publics pour se précipiter sur nous. Le radicalisme révolutionnaire est à l’œuvre dans l’ombre des sociétés secrètes. Nous serions toujours, comme aux plus mauvais temps, entre l’anarchie et la dictature ! Pour un peu d’agitation électorale qui se prépare, le pays risquerait d’être pris de vertige, « affolé de terreur ! » C’est une triste tactique ou une dangereuse méprise de parler ainsi. La France est plus calme, et les révolutions ne la tentent pas. Il peut Y avoir des foyers incandescens, des régions plus faciles à enflammer, plus accessibles aux propagandes radicales ; la masse du pays est essentiellement modérée, attachée à ses intérêts, avide de paix et de travail. Il suffit pour la diriger, pour la rassurer, d’avoir un peu de fermeté et surtout une bonne politique. La France n’est révolutionnaire que par accès, elle est conservatrice par essence, bien entendu dans la limite de la société moderne et de tout ce que représente ce mot de société, moderne.

D’un autre côté, si tant est qu’il y ait péril, est-il bien prudent de procéder sans cesse par ce système de défiance et d’ombrage que M. le vice-président du conseil érige presqu’en dogme dans tous ses discours, de déclarer presque la guerre même aux partisans les plus mo-