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dent du conseil est assez clair quand il le veut. C’est là cependant, on en conviendra, une étrange manière d’attirer d’honnêtes conservateurs pleins de perplexités que de leur présenter un régime politique sous cette figure. M. le ministre de l’intérieur le fait à bonne intention, il ne veut pas les décourager dans leurs espérances, pas plus qu’il ne veut, comme il l’assure, les blesser dans leurs souvenirs, dans leurs regrets et dans leurs affections. Seulement il s’expose à ce que ces alliés, auxquels il adresse un si touchant appel, lui répondent qu’ils aiment autant garder leurs anciennes opinions, qui triompheront infailliblement à la prochaine révision, puisque le régime actuel est si médiocre et si précaire. Avouons-le, c’est probablement la première fois dans l’histoire qu’un ministre se charge de traiter ainsi une constitution dont il est le gardien et l’exécuteur, c’est la première fois qu’un chef de cabinet donne l’exemple de cette défiance ironique à l’égard de la loi qu’il a la mission de faire respecter. Non, cela ne s’est jamais vu ; on a bien vu quelquefois des hommes d’état promettre à leurs créations politiques la perpétuité, M. Buffet est le premier qui commence par mettre de la cendre au front de la constitution qu’il a contribué à faire en lui rappelant sa fragilité et la brièveté probable de ses jours. Et si M. le vice-président du conseil croit si peu lui-même aux institutions qu’il sert, qui sont la force légale du gouvernement auquel il appartient, comment peut-il avoir l’autorité morale de la persuasion sur le pays, qui n’est d’aucun parti, qui ne comprend rien à toute cette casuistique, qui ne demande qu’à entendre des paroles nettes et à voir clair ?

Que peut penser le pays ? Il est nécessairement porté à être d’autant plus perplexe qu’il voit la contradiction partout, même dans le gouvernement. M. le garde des sceaux s’incline, comme il le doit, devant le voté qui a fait les sénateurs, de même qu’il s’est incliné devant le vote qui a fait la présidence de M. le maréchal de Mac-Mahon ; M. le vice-président du conseil déclare presque la guerre, une guerre d’épigrammes si l’on veut, à la partie inamovible du nouveau sénat, et il fouille le scrutin pour atteindre l’élection dans son origine. M. Dufaure, en défendant la loi sur la presse, dit simplement sans détour : « Nous voulons protéger la république constitutionnelle ! » M. Buffet met une affectation évidente à éviter de prononcer ce mot, et il ne se sert du nom de M. le président de la république que pour en faire une menace. M. le ministre de la justice dit avec un loyal bon sens que, si un candidat, dans les élections prochaines, lui assurait dès ce moment que la constitution est mauvaise, il lui refuserait sa voix parce que ce candidat, devenu député, ne ferait pas une expérience sincère du nouveau régime ; M. le ministre de l’intérieur ne dit pas précisément que la constitution est détestable, et il se garde encore plus de dire qu’elle est bonne, il reste dans le doute, faisant par son attitude, par son lan-