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qui pourrait se jouer dans la péninsule des Balkans ? Sa clairvoyance est au moins égale à celle des journalistes qui lui ont représenté dès la première heure que ses actions lui seraient inutiles en cas de guerre, que 176,000 morceaux de papier ne constituent ni une flotte ni une armée, et ne lui rendraient aucun service essentiel dans ces luttes sanglantes où se décide le sort des nations, que pour prendre l’Égypte il s’agit d’être le plus fort, et, qu’après l’avoir prise, il faut la garder.

L’Angleterre est de tous les pays le plus intéressé au maintien de la paix et au rétablissement d’une bonne police sur le continent. S’il venait à se faire une nouvelle rupture de l’équilibre européen, elle ne pourrait trouver aucune compensation suffisante à un si grand malheur. De quoi sert d’augmenter ses forces, quand on n’en conserve pas la libre disposition, quand on se met à la merci d’alliances de rencontre, nécessairement onéreuses et instables ? Ceux qui reprochaient à l’Angleterre l’effacement de sa politique, ceux qui l’accusaient de se résigner à tout et de pratiquer dans ses relations extérieures le principe du laisser-faire, du laisser-passer et du laisser-prendre, ont mauvaise grâce aujourd’hui à la blâmer d’avoir changé de méthode. Tout ce qu’on a le droit de demander à ses hommes d’état, c’est d’avoir un égoïsme courageux et intelligent, et de régler leur conduite sur les intérêts généraux et permanens de leur pays, lesquels sont conformes aux véritables intérêts de l’Europe. Ils ne jouiraient pas longtemps des bonnes grâces de l’Angleterre, si leur politique consistait à dire à l’Europe : Sauve qui peut, et que chacun prenne ce qui lui convient ! Lord Derby désire que nous voyions dans l’achat des actions du canal une simple précaution politique. L’Angleterre a voulu prouver qu’elle savait prévoir ; elle a rappelé à des puissances qui peut-être l’oubliaient trop que si elle comptait avec les accidens, les accidens auraient à compter avec elle, et on peut espérer que cet énergique avertissement aura contribué à faire prévaloir dans les conseils de l’Europe les idées raisonnables et pacifiques.


G. VALBERT.