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élevé et la garantie est la meilleure qu’il y ait au monde. » L’Angleterre sera sur ses gardes pour épargner aux prêteurs anglais de cruelles déceptions. Elle prêchera la sagesse au khédive, et, s’il le faut, elle la lui imposera. Elle tâchera de lui apprendre à voir clair dans les confusions volontaires ou involontaires de son budget, elle lui enseignera l’équilibre des recettes et des dépenses, elle l’empêchera de faire des folies, et déjà elle lui a donné un premier avertissement, qui a été entendu. Quoique ses caisses fussent vides, il s’était mis en tête de conquérir l’Abyssinie, où il vient d’éprouver un échec. Sur la demande du gouvernement britannique, les vaisseaux égyptiens ont été rappelés de Zanzibar, et l’expédition d’Abyssinie ne sera qu’une démonstration militaire. Le préceptorat dont viennent de se charger M. Disraeli et lord Derby ne sera point une sinécure ; ils ont affaire à un prince qui a l’imagination orientale, l’esprit aventureux, l’amour de la gloire, et qui méprise l’arithmétique. Le tuteur ou le gouverneur qui habite sur les bords de la Tamise aura beaucoup de peine à convaincre son pupille des bords du Nil que deux plus deux ne font jamais cinq, et que l’économie est le seul moyen sérieux d’acquitter ses dettes. M. de Lesseps a raconté qu’un jour, comme il chevauchait dans le désert à côté du précédent vice-roi, le prince vit se détacher de sa giberne un gland de diamans, et qu’il continua sa route en défendant qu’on le ramassât. Non-seulement Ismaïl-Pacha ne pourra plus s’amuser à conquérir l’Abyssinie, mais son gouverneur l’obligera de ramasser ses glands de diamans. Il s’est mis volontairement sous une sévère discipline ; puisse-t-il à ce prix échapper à la banqueroute.

Si l’on en juge par la circulaire qu’a adressée à ses correspondans la compagnie du canal, les actionnaires doivent se féliciter comme l’Égypte de l’acquisition faite par le gouvernement britannique. Dans cette circulaire, le président-directeur a tenu à rappeler que jadis le public français et l’Égypte couvrirent entièrement la souscription, que le gouvernement anglais opposa de nombreuses difficultés à l’achèvement du travail, et que jusque dans ces dernières années l’intervention de ses agens fut nuisible à l’intérêt des actionnaires. Il se présente dans les destinées des états et des canaux des incidens étranges qui ressemblent à des ironies du sort. Qui ne se souvient de l’énergique opiniâtreté avec laquelle lord Stratford, qu’on appelait dans le public le sultan Stratford ou Abdul-Canning, pesa sur le divan pour l’empêcher de ratifier le firman de concession délivré par le vice-roi ou pour lui escamoter quelque déclaration fatale au percement de l’isthme ? Qui ne se souvient des virulentes tirades de lord Palmerston, soutenant en toute rencontre que l’exécution du canal était matériellement impossible et que l’opinion de tous les ingénieurs du monde n’ébranlerait pas la sienne ? Qui n’a présent à la mémoire le terrible mot qu’il prononça dans la