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successeurs, lettres qui sont écrites non au souverain lui-même, mais à ses ministres. On est surpris du ton modeste et obséquieux que ces chefs du clergé emploient vis-à-vis des hommes au pouvoir. Un prélat se fait humble vis-à-vis d’un comte du palais, un archevêque s’incline devant un simple prêtre que le prince honore de sa faveur. L’un des principaux personnages de l’administration centrale était celui qu’on appelait l’apocrisiaire ou le chapelain du roi ; il était ordinairement dans la hiérarchie ecclésiastique un des derniers, mais sa dignité de ministre du prince l’élevait fort au-dessus de tout son ordre et le mettait hors de pair. Tous les prélats de l’empire lui adressaient leurs sollicitations et leurs suppliques : ils avaient à lui écrire pour les moindres affaires de leur diocèse ; s’agissait-il d’impôt ou de service militaire, de discipline ecclésiastique ou de procès, il fallait avoir recours à lui. Sa faveur pouvait tout, sa volonté décidait tout, il semble que tous les intérêts des prélats fussent dans ses mains. On est frappé de voir dans le recueil des capitulaires combien les évêques étaient assujettis. Sans cesse le prince les mande auprès de lui, sans cesse il leur envoie ses instructions. Sous des formes de respect, il leur commande. Il leur parle comme à des sujets, plus que cela, comme à des fonctionnaires. Il les charge d’exécuter ses ordres, il les emploie à faire pénétrer et prévaloir partout sa volonté. Pour l’obéissance, ils sont placés sur le même pied que les comtes ; comme eux, ils sont des instrumens de la pensée du prince. Il se sert d’eux pour gouverner ; il administre par eux ; il choisit parmi eux une partie de ses missi dominici, il fait d’eux ses premiers serviteurs et ses agens.

Tous ces faits ne donnent pas l’idée d’une royauté soumise à l’église. Charlemagne gouverne aussi bien la société ecclésiastique que la société laïque. Nous n’avons pas à parler ici de ses rapports avec le siège de Rome. Quant à l’épiscopat de la Gaule, il ne paraît pas avoir eu même la pensée de faire la loi au pouvoir civil. Il eût été peut-être assez fort pour s’affranchir de l’action de l’état, si cette action avait été contraire à ses intérêts ; mais, comme l’obéissance ne lui coûtait pas, il obéissait. Il vivait avec le pouvoir dans un parfait accord et était satisfait de le servir. Tel était d’ailleurs l’état moral de ces générations, que les esprits ne distinguaient pas nettement ce qui était de l’église et ce qui était de l’état. Nul ne sentait encore qu’il y eût là deux autorités différentes qui dussent s’exercer sur un domaine séparé et qui pussent être en conflit.

Charlemagne ne songeait même pas à empêcher l’église d’empiéter sur le terrain de l’état ; c’est au contraire lui qui intervenait à tout moment dans la vie intime de l’église, s’occupant, en souverain, de sa discipline, de sa moralité, de son instruction, de