Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les champs de mai cessèrent d’être aussitôt que les rois cessèrent d’être forts.

Du sein de cette vaste assemblée « du peuple entier, » il s’en dégageait une autre, beaucoup moins nombreuse. Tandis que la foule était campée sous les tentes, au milieu de la plaine, quelques hommes étaient réunis, loin d’elle, sans nulle communication avec elle, dans des salles du palais. Ces hommes étaient les évêques, les abbés de monastères, les ducs, les comtes, les vicaires des comtes, tous ceux enfin que la langue de l’époque appelait les grands. Or au temps de Charlemagne les évêques et les abbés étaient nommés par le prince et soumis à sa mainbour, les ducs et les comtes étaient ses agens ; il les nommait et les révoquait à son gré. Il s’en faut de beaucoup que ces hommes fussent indépendans et qu’ils pussent être hostiles. Une assemblée ainsi composée ne ressemblait pas à une assemblée nationale ; elle était plutôt une réunion de fonctionnaires, une sorte de conseil d’état. Voyons-la à l’œuvre : chaque comte fait un rapport au roi sur l’état de sa province, chaque évêque sur l’état de son diocèse ; les commissaires impériaux, missi dominici, qui reviennent de leur tournée d’inspection, rendent compte de ce qu’ils ont vu. Chacun d’eux énumère les actes qu’il a accomplis, les mesures qu’il a prises ; chacun aussi signale les désordres qu’il a remarqués et indique les besoins et les vœux de la province qu’il a parcourue. On s’entretient aussi de ce qui se passe aux frontières et à l’étranger, des incursions qui menacent, des alliances sur lesquelles on peut compter. Puis le roi consulte ces hommes qui, par leur dévoûment à sa personne autant que par leur expérience des affaires, sont ses conseillers naturels. Il leur expose, dans les réunions du printemps, ses projets de guerre, dans celles de l’automne, ses projets de lois. Il exige que sur chaque point chacun d’eux lui donne son avis. Conseiller n’est pas pour eux un droit, c’est un devoir. Ils ne conseillent d’ailleurs que sur les objets que le roi leur propose. Ils délibèrent la plupart du temps en sa présence, quelquefois sans lui, toujours avec une liberté qui ne peut nuire. Enfin le résultat de leurs discussions « est mis sous les yeux du prince, qui décide suivant sa sagesse. » La solution définitive appartient donc toujours au roi ; ces conseillers n’ont fait que l’éclairer de leurs lumières.

C’est Hincmar qui dit tout cela. Veut-on avoir un véritable compte-rendu, contemporain et authentique, d’une de ces réunions, en voici un qui nous a été conservé. C’est un récit qui est fait par l’archevêque de Lyon Agobard dans une lettre à un ami. « Dans ces jours où notre maître sacré l’empereur, ayant convoqué l’assemblée à Attigny, s’occupait avec zèle de tous les intérêts des peuples confiés à ses soins, il conçut un admirable projet, qui était de