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contemporains virent donc de plus clair dans cet événement, c’est que Rome et l’Europe occidentale étaient définitivement affranchies de la suprématie politique et quelquefois religieuse que Constantinople avait exercée sur elles depuis quatre siècles. L’acte de l’année 800 fut la contre-partie de l’acte de l’année 476. Il n’y eut que la cour de Constantinople qui en fut blessée, et il n’y eut qu’elle qui protesta. « En prenant le titre d’empereur, dit Eginhard, le roi Charles encourut le mauvais vouloir des empereurs romains d’Orient. »

Après l’observation de ces faits, il est à peine besoin de faire remarquer que l’empire de Charlemagne n’avait rien de germanique. La pensée d’un empire germain ne venait à l’esprit de personne. Il ne se pouvait agir que de l’empire romain, tel que les hommes en avaient gardé le souvenir, et tel que les princes de Constantinople en avaient perpétué la tradition. Le titre d’empereur ne remplaçait pas celui de roi des Francs, il remplaçait celui de patrice. Charlemagne n’était pas empereur des Francs ou des Germains, il était roi des Francs et empereur des Romains, rex Francorum, imperator Romanorum, Augustus. Ni lui ni le pape n’avaient songé à créer une institution nouvelle ; ils continuaient seulement l’empire. Le récit d’Eginhard ne laisse aucun doute sur ce sujet : « le roi Charles étant devant l’autel, le pape lui mit la couronne sur la tête, et toute l’assistance s’écria : A Charles, Auguste, empereur des Romains, grand et pacifique, couronné de Dieu, vie et victoire. » Ces acclamations mêmes n’étaient pas quelque chose de nouveau ; elles étaient usitées à Constantinople, et elles l’avaient été autrefois à Rome, quand le sénat avait inauguré le règne de chaque empereur. La seule nouveauté ici était que le sénat était remplacé par un pape et des évêques ; encore ce pape et ces évêques procédèrent-ils suivant les formes d’autrefois. Eginhard ajoute un trait significatif : « après que les acclamations eurent été prononcées, le pontife se prosterna devant Charles et l’adora, suivant la coutume établie au temps des anciens empereurs, et il l’appela Auguste. » Le retour de ce vieux cérémonial païen et de cet ancien titre sacré est caractéristique.

Ce qui l’est encore, c’est qu’on ne rencontre dans les documens aucun symptôme d’opposition. Le seul sentiment dont les marques soient venues jusqu’à nous fut celui d’une joie universelle. Il ne semble pas qu’aucun homme de race germanique ait songé à protester. Personne ne se plaignit que Charles s’appelât désormais César et qu’il commençât ses actes officiels par cette formule : « l’empereur césar Charles, roi des Francs, empereur des Romains, pieux, heureux, triomphateur, toujours Auguste. » Charlemagne et ses successeurs portèrent le costume impérial romain, tel qu’il était porté à Constantinople, et dont on peut voir la description dans