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désignaient formellement l’acte de clientèle par lequel on obtenait la protection d’un homme en se soumettant à son autorité. Les papes et la ville de Rome se reconnaissaient donc sujets du roi des Francs ; nous voyons Paul Ier en 757, Léon III en 796, écrire à Pépin et à Charlemagne pour leur faire hommage et renouveler leurs sermens de foi et de sujétion[1].

C’était sans nul doute une singulière situation que celle de ces papes qui, presque indépendans en fait, dépendaient encore officiellement de l’empire de Byzance, et subissaient en même temps l’autorité, fort douce d’ailleurs, des rois francs. Le titre par lequel on désignait le pouvoir de Pépin et de Charlemagne sûr la ville de Rome était celui de patrice. Ce n’était pas un titre nouveau ; le nom de patrice était depuis trois siècles celui d’une dignité de l’empire. Les chroniqueurs grecs ou latins de cette époque mentionnent fréquemment des patrices : ce sont les plus hauts fonctionnaires de l’administration byzantine. Un patrice était le représentant de l’empereur dans une province et gouvernait les hommes en son nom. Pépin et Charlemagne furent appelés patrices des Romains, ce qui signifiait, à prendre le mot dans son sens littéral, qu’ils étaient les lieutenans du souverain qui régnait à Constantinople. Il y avait seulement cette singularité, qu’au lieu d’avoir reçu ce titre de l’empereur, ils l’avaient reçu du pape au nom du peuple romain. Quoi qu’il en soit, ce titre leur permettait d’exercer dans Rome les mêmes pouvoirs que les ducs impériaux y avaient exercés précédemment ; ils y étaient en quelque sorte des vice-empereurs[2]. Si bizarre que nous paraisse cette situation, elle ne semble pas avoir étonné les contemporains, dont la vie publique était pleine de pareilles contradictions.

Elle se prolongea un demi-siècle. En l’année 800, le pape Léon III changea le titre de patrice en celui d’empereur. Devons-nous attribuer à ce pontife des vues vastes et profondes ? Voulait-il réagir contre l’esprit germanique ? Visait-il à fonder un grand état chrétien ? Tout cela est possible, mais les textes montrent seulement qu’il songeait à rompre avec Constantinople. Avoir le roi franc pour patrice, c’était reconnaître encore la suzeraineté

  1. La lettre du pape Paul Ier est dans la Patrologie latine, t. XCVIII, p. 138 ; pour Léon III, voyez Eginhard, Annales, à l’année 796. Comparer les lettres du pape Etienne II, ° 3 et 4 ; Paul Diacre, Hist. Longobard., c. 53 et 54. — Le terme germanique qui correspond au mot commendatio était mundeburd ; aussi le trouvons-nous employé par les rois francs pour désigner leur pouvoir sur l’église romaine.
  2. Ce sens du mot patrice se reconnaît par exemple dans ce passage d’un chroniqueur romain qui écrit qu’en 774 Charlemagne fut reçu dans Rome « avec le cérémonial qui était accoutumé pour la réception des exarques et des patrices, » ce qui ne se peut entendre assurément que des patrices grecs qui résidaient en Italie. (Anastase le Bibl., dans Muratori, t. III, p. 185.)