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que teinture, et sauf les ors, qu’il excelle à rendre en leur richesse chaude et sourde, ont, comme ses rouges, un double rôle à jouer : premièrement, de faire éclater la lumière ailleurs que sur des blancs, deuxièmement d’exercer aux environs l’action indirecte d’une couleur qui fait changer les autres, et par exemple de faire tourner au violet, de fleurir en quelque sorte un triste gris fort insignifiant et tout à fait neutre envisagé sur la palette. Tout cela, dirait-on, n’est pas bien extraordinaire : des dessous bruns, deux ou trois couleurs actives pour faire croire à la richesse d’une vaste toile, des décompositions grisonnantes obtenues par des mélanges blafards, tous les intermédiaires du gris entre le grand noir et le grand blanc, en un mot des ressources de coloris très circonscrites, un grand faste obtenu à peu de frais, — en d’autres termes peu de matières colorantes et le plus grand éclat de couleurs, de la lumière sans excès de clarté, une sonorité extrême avec un petit nombre d’instrumens, un clavier dont il néglige à peu près les trois quarts, mais qu’il parcourt en sautant beaucoup de notes et qu’il touche quand il le faut à ses deux extrémités. Telle est, en langage un peu mêlé de musique et de peinture, l’habitude de ce grand praticien. Qui voit un tableau de lui les connaît tous, et qui l’a vu peindre un jour l’a vu peindre presqu’à tous les momens de sa vie.

Toujours c’est la même méthode, le même sang-froid, les mêmes calculs. Une préméditation calme et savante préside à des efforts toujours subits ; on ne sait pas trop d’où vient l’audace, à quel moment il s’emporte, s’abandonne. Est-ce quand il exécute un morceau de violence, un geste outré, un objet qui remue, un œil qui luit, une bouche qui crie, des cheveux qui s’emmêlent, une barbe qui se hérisse, une main qui saisit, une écume qui fouette, un désordre dans les habits, du vent dans les choses légères, ou l’incertitude de l’eau fangeuse qui clapote à travers les mailles d’un filet ? Est-ce quand il enduit plusieurs mètres de toile d’une teinture ardente, quand il fait ruisseler du rouge à flots, et que tout ce qui environne ce rouge en est éclaboussé par des reflets ? Est-ce au contraire quand il passe d’une couleur forte à une couleur forte, et circule à travers les tons neutres, comme si cette matière rebelle et gluante était le plus maniable des élémens ? Est-ce quand il crie très fort ? Est-ce quand il file un son si ténu qu’on a de la peine à le saisir ? Cette peinture, qui donne la fièvre à ceux qui la voient, brûlait-elle à ce point celui des mains de qui elle sortait, fluide, aisée, naturelle, saine et toujours vierge à quelque moment que vous la surpreniez ? Où est l’effort en un mot dans cet art, qu’on dirait tendu, tandis qu’il est l’intime expression d’un esprit qui ne l’était jamais ? Vous est-il arrivé de fermer les yeux pendant l’exécution d’un morceau de musique brillante ? Le son jaillit de