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tempérament, resté Flamand. Avec Vœnius, il représentait à merveille les deux élémens indigène et étranger, qui depuis cent ans s’étaient partagé l’esprit des Flandres et dont l’un avait presque totalement étouffé l’autre. A sa manière et selon la différence des époques, il était le dernier rejeton de la forte sève nationale dont les Van-Eyk, Memling, Quentin Matsys, le vieux Breughel et tous les portraitistes avaient été, suivant l’esprit de chaque siècle, le naturel et vivace produit. Autant le vieux sang germanique s’était altéré dans les veines de l’érudit Vœnius, autant il affluait riche, pur, abondant, dans cette organisation forte et peu cultivée. Par ses goûts, par ses instincts, par ses habitudes, il était du peuple. Il en avait la brutalité, on dit le goût du vin, le verbe haut, le langage grossier, mais franc, la sincérité mal-apprise et choquante, tout en un mot, moins la bonne humeur. Étranger au monde comme aux académies, pas plus policé dans un sens que dans l’autre, mais absolument peintre par les facultés imaginatives, par l’œil et par la main, rapide, alerte, d’un aplomb que rien ne gênait, il avait deux motifs pour beaucoup oser : il se savait capable de tout faire sans le secours de personne, et n’avait aucun scrupule à l’égard de ce qu’il ignorait.

A en juger par ses œuvres, devenues très rares, et par le peu qui reste d’une laborieuse carrière de quatre-vingt-quatre années, il aimait ce qu’en son pays on n’estimait plus guère : une action même héroïque exprimée dans sa réalité crue en dehors de tout idéal, quel qu’il fût, mystique ou païen. Il aimait les hommes sanguins et mal peignés, les vieillards grisonnans, tannés, vieillis, durcis par les travaux rudes, les chevelures lustrées et grasses, les barbes incultes, les cous injectés et les épaisses carrures. Comme pratique, il aimait les forts accens, les couleurs voyantes, de grandes clartés sur des tons criards et puissans, le tout peu fondu, d’une pâte large, ardente, luisante et ruisselante. La touche était emportée, sûre et juste. Il avait comme une façon de frapper la toile et d’y poser un ton plutôt qu’une forme, qui la faisait retentir sous la brosse. Il entassait beaucoup de figures et des plus grosses dans un petit espace, les disposait en groupes abondans et tirait du nombre un relief général qui s’ajoutait au relief individuel des choses. Tout ce qui pouvait briller brillait, les fronts, les tempes, les moustaches, l’émail des yeux, les bords des paupières, et par cette façon de rendre l’action de la vive lumière sur le sang, ce que la peau contracte d’humide et de miroitant à la chaleur du jour qui la brûle, par beaucoup de rouge, fouetté de beaucoup d’argent, il donnait à tous ses personnages je ne sais quelle activité plus tendue, et pour ainsi dire l’air d’être en sueur.

Si ces traits sont exacts, et je les crois tels pour les avoir