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découverte d’une vérité théorique ou la confirmation d’un calcul par l’expérience. »

Nous voyons maintenant les résultats des efforts de ces hommes désintéressés sous mille formes pratiques qui nous semblent après coup justifier l’ardeur qu’ils ont mise dans leurs recherches ; mais il est certain que presque toujours ils n’avaient point eu ces résultats en vue. A les voir à l’œuvre, un homme pratique les aurait pris pour de grands enfans jouant avec des bulles de savon. Leur eût-on demandé à quoi pourrait servir leur travail, à coup sûr on les eût embarrassés. « Une découverte scientifique peut non-seulement mettre des dollars dans la poche des individus, mais des milliards dans les trésors des nations : l’histoire de la science en fournit plus d’une preuve ; pourtant l’espérance d’en arriver là ne fut jamais et ne pourra jamais être la force motrice du chercheur. »

On appelle aujourd’hui à grands cris l’éducation technique ou professionnelle, on oublie de s’occuper en même temps des moyens de faciliter et d’encourager les recherches originales des savans. Sans ces dernières cependant, aussi sûrement que le ruisseau se tarit quand la source meurt, l’éducation technique perdrait sa fécondité et sa vigueur de production. Le progrès industriel ne peut ; se passer du savant-inventeur : vous multipliez, mais lui, il crée. L’enseignement lui-même a besoin de se retremper à la source limpide des découvertes originales : c’est là seulement que la science puise son pouvoir vivifiant.

Faisant l’application directe de ces vérités incontestables à la nation américaine, M. Tyndall se demande d’où peut venir sa stérilité relative en matière de découvertes scientifiques. Ce milieu démocratique serait-il, comme le croyait Tocqueville, décidément défavorable à l’éclosion des travaux de l’esprit ? M. Tyndall ne le pense pas, mais il reproche aux Américains d’étouffer chez eux le génie des chercheurs par d’écrasans devoirs pratiques ; il les exhorte à écarter de la voie de ces hommes rares tout ce qui trouble les efforts spéculatifs. Ce ne sont point les facultés qui font défaut dans ce pays ; on le voit bien à l’occasion. On l’a vu tout récemment encore, à propos des expéditions qui sont allées observer le passage de Vénus. Un astronome anglais, M. Proctor, compare l’activité déployée en cette circonstance par les deux grandes nations de même langue, et il ne peut s’empêcher de reconnaître aux Américains une manière tranquille de poser et de résoudre les questions, une sorte de tactique expérimentale, qui leur donne parfois le pas sur leurs cousins d’Europe. Laissons-les se recueillir ; il reste encore beaucoup à faire, et leur tour viendra.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.