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calmes et si harmonieuses semblent avoir été placées tout exprès pour reposer et rafraîchir les yeux. Il est vrai qu’il serait encore préférable de les emporter loin de ce bazar, où l’art délicat et discret produit un peu l’effet d’un joli morceau de musique de chambre exécuté par quatre maîtres de l’archet au milieu des Champs-Elysées. On aura beau dire et beau faire, l’art véritable est un mets de privilégié, d’aristocrate, dont la foule qui passe ignorera toujours les saveurs ; il faut, pour le déguster, le loisir, le calme. L’œuvre d’art de son côté veut être placée dans le milieu qui lui convient ; il faut qu’on l’ait sous le regard à l’heure où les yeux en ont besoin, où l’esprit est disposé à en jouir ; c’est pourquoi l’exhibition brutale de plusieurs milliers de toiles accrochées pêle-mêle. sous un jour dévorant est bien plutôt faite pour étouffer le véritable sentiment des arts que pour le faire naître ou le développer.

Que M. Léon Glaize ait pris son sujet dans Plutarque, je ne le nie pas ; mais je peux affirmer que, si Plutarque pouvait voir le tableau de M. Glaize, il en recevrait une désagréable impression. Où trouver dans les grandes et nobles pages du vieux philosophe grec un seul mot qui puisse servir de prétexte à cette scène mélodramatique de la Conjuration ? Ces jeunes gens des meilleures familles, comme dit le livret, groupés autour d’un cadavre, ne vous rappellent-ils pas ces tirades infernales de l’Ambigu qui font couler à la foi les larmes et les sueurs dans les régions élevées du théâtre ? Que tout cela est peu dans le sentiment de Plutarque, monsieur, et comme votre bon goût eût préservé de ces grossièretés M. Glaize, si vous ne vous étiez cru dans l’obligation d’attirer les regards par quelque coup d’audace ! Ce qui est curieux dans cette grande toile où le talent ne manque pas d’ailleurs, c’est cette exhibition de réalités brutales jointe à une recherche timide du classique. Ces académies, très convenablement peintes et correctement dessinées, semblent désorientées dans cette scène de sang. Vainement ces braves gens froncent le sourcil, contractent leurs muscles, gesticulent ; on devine leur bonne volonté, mais leur peu de conviction saute aux yeux. La scène d’ailleurs est confuse, s’explique fort mal, et tous ces nus sont d’un ton uniforme qui n’ajoute rien au caractère et rappelle le pain d’épice. M. Glaize n’en mourra pas, il a été victime d’un coup de tête, et Plutarque est de taille à lui pardonner cette collaboration forcée.

M. Puvis de Chavannes, qui, lui aussi, fait de la grande peinture en indépendant, ne parvient pas à remplacer par la puissance de son individualité cette éducation classique qui lui manque. Il continue à épeler son alphabet avec une conviction de. martyr sans se douter que depuis Cimabüe il s’est produit un grand nombre de