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le titre de célibataire. Les hommes réduits à ce triste compromis vivaient avec une femme à laquelle dans la maison ils reconnaissaient les droits d’épouse, et dont ils élevaient les enfans comme leurs enfans légitimes. À ces timides et honteux restaurateurs du mariage, les stricts théodosiens donnèrent le nom de novogeny, c’est-à-dire de néo-mariés, remarieurs. Les sévères gardiens du célibat et les parrains du libertinage fermèrent la porte de leurs oratoires à ces faibles novogeny ; beaucoup refusaient même de boire ou de manger avec eux. Ces rigueurs ne purent toujours tenir, à la longue il s’est opéré un rapprochement entre les deux parties de la secte. Sur cette question de la vie conjugale et de la famille, comme sur celle du règne de l’antechrist et de la soumission à l’état, la bezpopovstchine s’est adoucie et comme apprivoisée. L’inflexible théodosien de Préobrajenski répudie lui-même les immorales doctrines de ses prédécesseurs, il en conteste l’authenticité ou l’interprétation, et recourt au besoin à la presse ou à la justice pour repousser ce qu’il appelle les calomnies de ses adversaires. Ce ne sont plus aujourd’hui les chefs du schisme qui proclament ces maximes attentatoires à la morale ou à la société, ce sont ses ennemis qui les vont déterrer dans les livres et les manuscrits des docteurs de la secte pour s’en servir contre elle. Que leurs adversaires théologiques reprochent aux sans-prêtres d’être inconséquens, plus d’un culte n’a dû l’existence qu’à des inconséquences de cette sorte. Un des meilleurs signes du progrès en Russie, c’est de voir les plus importantes de ces rigides communautés de raskolniks renier les fanatiques principes de leurs ancêtres. Si le sauvage génie de l’ancienne bezpopovstchine n’est point encore mort, il ne vit plus que dans quelques sectes extrêmes, dans une secte étrange en particulier, les errans ou stranniki.

Les plus choquantes aberrations des premiers sans-prêtres sont encore professées en plein XIXe siècle par ces errans. Appelés aussi les fuyans, bégouny, ils se donnent eux-mêmes le nom de pèlerins. Un soldat déserteur devenu moine dans un des skites théodosiens du nord fut leur premier apôtre. L’errantisme est sorti à la fin du XVIIIe siècle d’une sorte de réveil, d’une sorte de revival de la bezpopovstchine. La croyance au règne actuel de Satan est la pierre angulaire de l’enseignement des errans. Repoussant comme une apostasie toutes les concessions ou les inconséquences, des sans-prêtres modernes, l’errant n’admet aucun compromis avec cette funeste doctrine. Il cesse tout commerce avec les représentans de Satan, c’est-à-dire avec l’état et les autorités constituées ; à l’instar des anciens prophètes, il se retire au désert ou il s’enfonce dans les forêts où n’ont point encore pénétré les serviteurs de l’antechrist. La devise du strannik est cette parole de l’Évangile : « abandonne