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un court congé ; mais pendant cette longue heure j’ai eu le temps de réfléchir, et je vous demande ma démission. » Par deux fois aussi il fit l’essai du service militaire, sans arriver à un grade plus élevé que celui de lieutenant de la landwehr, grade qu’il appréciait pourtant, et dont il aimait à endosser l’uniforme aux occasions solennelles, du temps même où il était déjà ministre à Francfort ; on sait que la journée de Sadowa lui valut depuis les insignes de général. Ces dix ou douze années qui s’écoulèrent pour M. de Bismarck depuis son examen d’état tant discuté jusqu’à son entrée à la chambre de Prusse, les biographes allemands les décorent du beau nom « d’années d’orage et de tourmente, » qui rappelle une des époques les plus brillantes de leur littérature[1]. Elles furent orageuses en effet, remplies d’avortemens de plus d’un genre, de voyages, d’embarras financière, peut-être bien aussi d’un amour contrarié. C’est du moins le sens qu’on inclinerait à donner au passage suivant d’une lettre adressée à sa sœur Malvina : « J’ai beau me raidir, je finirai par épouser *** ; le monde le veut ainsi, et rien ne paraît plus naturel, puisque nous sommes restés tous les deux sur le carreau. Elle me laisse froid, il est vrai ; mais cela, elles le font toutes ; il n’est pas si mal du reste qu’on ne puisse quitter ses sentimens avec ses chemises, si rarement même qu’on change ces dernières… »

Il semble avoir porté une affection très sincère à cette sœur : il lui prodigue les noms les plus tendres, il l’appelle tantôt sa petite chère, sa Malvina, sa Maldewinchen, sa bonne petite Arnim ; il lui arrive même une fois de dire (pardonnez-le-lui, ô divinités de Walhalla) tout simplement et en français : « ma sœur ! » Dans toutes les lettres de cette époque, datées la plupart des terres de Kniephof ou de Schœnhausen (ce n’est que plus tard que M. de Bismarck fit l’acquisition du fameux Varzin, à côté d’un humour toujours strident et mordant, on voit percer un certain désenchantement, à côté des soucis de fortune apparaissent de temps en temps des projets pour l’avenir, bien modestes assurément et qui visent rarement la politique. En 1846, il attache une certaine importance à être nommé intendant des digues dans le district (deichhauptmann). « La place n’est pas rémunérée, mais elle présente de l’intérêt par rapport à Schœnhausen et aux autres terres, car c’est d’elle que dépendra en grande partie si nous serons de nouveau sous l’eau comme l’an passé… Bernard (un ami) insiste pour que j’aille en Prusse (à Berlin ?) ; je voudrais bien savoir ce qu’il entend par là. Il soutient que, par mes dispositions et mes penchans, je suis fait pour le service d’état, et que tôt ou tard je finirai par y

  1. Sturm und Drang-Periode, première période de Goethe et de Schiller.