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pardonna à la Russie plus d’un manque d’égards, plus d’un mouvement de mauvaise humeur ; elle lui pardonna le ton plus que léger dont il avait été parlé, disposé d’elle dans les épanchemens avec sir Hamilton Seymour, — la manière dont fut accueillie à Saint-Pétersbourg certaine lettre autographe de l’empereur François-Joseph, — l’attitude altière, presque provocante du comte Orlof lors de sa mission à Vienne. Elle n’a cessé jusqu’au bout de calmer l’irritation des alliés, de modifier et d’atténuer leur programme, d’affirmer les dispositions conciliantes du tsar, d’espérer contre tout espoir. Elle ne plaidait que le retour au statu quo, répudiait toute idée d’humilier la Russie ou de l’amoindrir : elle ne lui demandait que la liberté du Danube, la renonciation au protectorat, et se refusait à suivre les alliés dans leurs exigences concernant la Mer-Noire. Malheureusement, ainsi qu’il n’arrive que trop souvent à celui qui veut être équitable et juste envers tous les partis, le gouvernement autrichien, par cette conduite, finit par indisposer envers lui la France et l’Angleterre, tout en exaspérant les Russes. Dans l’été de 1854, au moment même où le prince Gortchakof échangeait son poste de Francfort contre celui de Vienne, un publiciste éminent qui fut alors pour ainsi dire le porte-voix de l’Occident et de ses généreuses ardeurs désespérait presque de l’Autriche, et s’écriait avec amertume que là-bas, à la Burg, « l’alliance russe était quelque chose de sacré comme une religion, de fixé comme une convenance, de populaire comme une mode ! » Au printemps de l’année suivante, les cabinets de Paris et de Londres repoussaient, comme trop favorable à la Russie, un nouveau projet d’arrangement présenté par le comte Buol, et le gouvernement français devait à cette occasion reprocher à l’Autriche, dans le Moniteur officiel, « d’offrir un expédient plutôt qu’une solution. »

La solution ! l’empereur François-Joseph l’avait certainement entre ses mains, et il ne dépendait peut-être que de lui de la rendre aussi décisive, aussi radicale que pouvaient le désirer les ennemis les plus mortels de la Russie. Pourquoi ne pas l’avouer ? à voir le fruit amer recueilli par l’Autriche de ses efforts honnêtes pendant la crise orientale, à voir les haines implacables et les cruels désastres que lui a valus dans la suite son attitude d’alors, on se surprend parfois à regretter que le cabinet de Vienne ait eu tant de scrupules dans cette époque mémorable, à lui reprocher de n’avoir pas fait preuve de cette indépendance de cœur qui semble, hélas ! devenir de plus en plus la condition forcée, indispensable, de l’indépendance des états. Si l’Autriche avait voulu être un peu moins reconnaissante et un peu plus politique pendant cette guerre d’Orient, elle se serait résolument jointe à la France et à l’Angleterre,