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s’émancipant du clergé, la plupart de ces communautés ont conservé toutes les pratiques de la dévotion russe, la révérence superstitieuse des images ou des reliques, l’observation scrupuleuse des jeûnes, tout le formalisme religieux d’où est primitivement sorti le raskol. Comme les popovtsy, les sans-prêtres ont gardé les signes de croix cent fois répétés, et les poklony les saluts ou inclinations de corps devant les images. Cette sorte de gymnastique religieuse tient même souvent chez eux une place d’autant plus large que leur culte, dénué de prêtres, est plus vide de cérémonies. Pour la purification des mets achetés au marché, telle secte ordonne cent de ces inclinations de corps ou poklones, pour un enterrement deux cents, pour un néophyte deux mille par jour pendant six semaines, avec adjonction de vingt prosternations par chaque centaine. Plus encore que les popovtsy, ces hommes, qui ont rejeté tout clergé, ont conservé une horreur religieuse pour le tabac ou pour le sucre, une superstitieuse répugnance pour certains mets, certains animaux, pour le lièvre par exemple. Au lieu de toujours s’épurer, s’alléger le culte des bezpopovtsy semble s’être dédommagé de la privation des rites les plus sacrés de la foi nationale en s’attachant d’autant plus aux dehors vulgaires et aux mesquines pratiques de la dévotion russe, se matérialisant ainsi par les causes qui semblaient devoir le spiritualiser.

S’ils repoussent les prêtres, la plupart des bezpopovtsy ont conservé des moines, ils ont des skites, des ermitages pour l’un et l’autre sexe. Deux choses distinguent d’ordinaire les règles et les statuts de ces religieux du raskol, c’est d’un côté l’étroitesse et la minutie des prescriptions, de l’autre l’instinct pratique, qui, non moins que le formalisme, se retrouve dans la plupart des créations du raskol. Ces couvens du schisme offrent à l’homme russe son vieil idéal économique, la propriété commune, un ménage commun sous l’autorité d’un supérieur auquel le bon ordre de la maison et les soins domestiques font autant d’honneur que le zèle pour la foi et l’intelligence des choses spirituelles. Chez les sans-prêtres comme chez les vieux-croyans hiérarchiques, ces skiles, ces congrégations, ont été les principaux foyers, les principaux centres d’organisation du raskol. Beaucoup des sectes de la bezpopovstchine en ont tiré leurs doctrines et leurs noms. C’est au nord-ouest, dans la région de l’Onega, dans ces contrées septentrionales si bien préparées pour le schisme par l’isolement et les habitudes de la population, que se constitua, vers la fin du XVIIe siècle, la première grande communauté de sans-prêtres, celle qu’on pourrait regarder comme la mère des autres. Autour de quelques ermitages bâtis sur les bords du Vyg se groupèrent de nombreux dissidens qui, au début du XVIIIe siècle, trouvèrent dans deux frères du nom de Denissof