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s’est manifestée l’intervention conciliatrice des plus grandes puissances, et même que les journaux allemands, par une volte-face subite, se montrent aujourd’hui aussi pacifiques qu’ils étaient belliqueux et agressifs il y a quelques semaines, qu’on se perde dans toutes les contradictions et toutes les interprétations, soit. Il est bien certain qu’il y a eu quelque chose, et que ce quelque chose a suffi pour provoquer non-seulement les plus sérieuses, les plus vives manifestations d’opinion, mais encore une sorte d’arbitrage diplomatique, dont la conséquence a été de faire sentir à tous les impatiens de guerre l’isolement moral où ils allaient se trouver. La présence de l’empereur Alexandre II à la cour de Prusse a visiblement exercé une influence décisive, et les messages que le prince Gortchakof s’est hâté de transmettre dès les premières entrevues à la diplomatie russe indiquent assez nettement la nature des conseils qui étaient portés à Berlin. Le tsar a joué le rôle de modérateur, de pacificateur, et en vérité les journaux allemands auraient voulu, par leurs intempérances belliqueuses, ménager, un succès à la Russie qu’ils n’auraient point agi autrement. Mettons, si l’on veut, et comme on le répète aujourd’hui, que l’empereur Alexandre avait cause gagnée avant d’arriver, qu’il a trouvé M. de Bismarck dans les dispositions les plus conciliantes ; il a eu du moins le mérite de venir en aide à ces dispositions, et son langage a pu être d’autant plus efficace qu’il était l’expression évidente d’un sentiment européen. L’intervention de l’Angleterre elle-même en effet n’est plus un mystère ; elle a été avouée en plein parlement par M. Disraeli, qui, ayant à répondre au chef de l’opposition, à lord Hartington, a dit sans détour : « Il est exact que le ministère a conseillé à sa majesté d’adresser des représentations au gouvernement de l’empereur d’Allemagne relativement à l’état des relations entre l’Allemagne et la France. Le but de ces observations était de rectifier des notions inexactes et d’assurer le maintien de la paix. Ces observations ont reçu une réponse satisfaisante. » L’Italie n’a point hésité à s’unir à l’Angleterre, à employer ses efforts pour détourner les chances d’un conflit ; l’Autriche, sans prendre l’initiative, n’est point restée sans doute en arrière, de sorte qu’au moment décisif tout s’est réuni pour convaincre M. de Bismarck en lui enlevant l’espérance de faire croire désormais que la France est le boute-feu de l’Europe.

Le résultat de ce travail, dont tous les secrets ne sont point divulgués, c’est cet apaisement qu’on voit aujourd’hui, qui s’est accompli pour ainsi dire par la toute-puissance du sentiment européen, et, on peut l’ajouter, par une sorte de justice universellement rendue à la modération de la politique française. Quelle est en effet l’attitude que la France a gardée dans cet imbroglio, qui aurait bien pu devenir redoutable ? Elle est restée en quelque façon immobile, s’efforçant uniquement de rectifier ou d’éclaircir des faits dénaturés, attendant tout de la