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usage avant la réforme de Nikone. Le saint-synode consentit à faire ordonner des prêtres destinés à la célébration des anciens rites. Aux adhérens de cette nouvelle église, ou mieux de cette ancienne liturgie, on donna le nom d’edinovertsy, c’est-à-dire unicroyans. C’était à l’aide d’une semblable concession aux utraquistes que l’église romaine avait jadis terminé la guerre des hussites. Des pétitions au tsar Alexis attestent qu’un tel compromis eût aisément satisfait les premiers vieux-croyans : un siècle plus tard, leurs descendans ne s’en contentaient plus. En religion comme en politique, les concessions tardives sont souvent dédaigneusement repoussées de ceux qui d’abord les imploraient humblement. En se persuadant que toutes les dissidences étaient extérieures, l’église officielle faisait vis-à-vis des vieux-croyans une erreur analogue à l’erreur des vieux-croyans vis-à-vis d’elle, lorsqu’ils s’étaient révoltés contre son autorité au nom des rites. Le principe du schisme n’est plus tout entier dans le cérémonial. Après de longues années de vie et de lutte, le raskol a pris un esprit propre, une individualité, des habitudes d’indépendance et de liberté qui rendent plus difficiles les conditions de sa soumission à l’église.

La nouvelle église ne pouvait suffire à éloigner les préventions des vieux-croyans. Il était trop manifeste que dans l’édinoverié le gouvernement et le saint-synode ne voyaient qu’une forme transitoire, une sorte de parvis ou de vestibule où les adversaires de Nikone devaient faire un stage avant d’aller se perdre dans le temple de l’orthodoxie légale. En provoquant les dissidens à entrer dans l’église des unicroyans, le gouvernement avait soin d’en interdire l’accès à tous les fidèles réputés orthodoxes ; par là il repoussait lui-même de l’édinoverié le plus grand nombre des schismatiques qu’il y voulait attirer. Entre cette création des unicroyans de Catherine II et de ses successeurs et celle des grecs-unis de Pologne par la cour de Rome et les jésuites, il y a une ressemblance qui n’a pas été remarquée. Les deux institutions étaient des moyens termes répondant à un but analogue et excitant de semblables défiances. On dirait que, pour ramener ses propres dissidens, la Russie a imité le procédé employé par Rome et la Pologne pour se rattacher les sujets polonais du rite grec. Sciemment ou non, le gouvernement russe n’a fait que s’approprier la tactique religieuse qu’il combat de la part de Rome et des Polonais. L’imitation est demeurée incomplète, et de là en partie le peu de succès qu’elle a obtenu. À ses grecs-unis, l’église romaine laissait, outre leur liturgie et leur rituel, des évêques et une hiérarchie propre ; à ses starovères unis, l’église russe prétend au contraire imposer des prêtres consacrés par ses propres évêques et relevant directement d’eux. C’est là le