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intrigues dont elle accusait cette puissance sur son propre territoire. Après s’être vu tour à tour éloigné et rappelé, interné et remis en liberté selon l’état des relations des deux empires, le métropolitain de la Blanche-Fontaine finit par siéger tranquillement sur la frontière russe. L’autorité de Bélokrinitsa avait été aisément acceptée des vieux-croyans d’Autriche et de Turquie, fiers de posséder la tête de la hiérarchie du schisme. En Russie, la reconnaissance du nouveau patriarcat présenta plus de difficultés. Quelques sectaires ne voulurent pas se soumettre à un prêtre étranger, qu’en leur naïve ignorance ils appelaient un prêtre d’outre-mer. Les chefs du schisme et le plus grand nombre de ses adhérens hésitèrent peu ; une réunion des anciens au cimetière de Rogojski reconnut le métropolite de Fontana-Alba. Les meneurs du raskol ne regrettèrent probablement pas d’avoir un patriarche en dehors du territoire national, en dehors de la portée de l’autorité civile. Ils cédaient à leur insu à ce penchant d’indépendance qui, pour la rendre invulnérable, fait désirer à certaines églises d’avoir leur tête à l’étranger, et qui chez les catholiques fait réclamer un trône temporel pour le souverain pontife. L’autorité du nouveau métropolitain reconnue, les vieux-croyans procédèrent à la création de toute une hiérarchie. Du fond d’un obscur couvent de la Bukovine, un moine mitre, sans nom et sans réputation, partagea les états de l’empereur Nicolas en diocèses, y nommant des évêques qui relevaient de lui seul, faisant en Russie ce que faisait le pape en Angleterre alors qu’en dehors du gouvernement anglais le Vatican couvrait la Grande-Bretagne d’un réseau de diocèses catholiques. Le raskol eut des évêques parfois déguisés en laïques, en marchands, et connus seulement de leur troupeau, un épiscopat occulte dont les fonctions furent facilitées par l’argent des dissidens et la corruption de la police. De tous les coins de la Russie, les offrandes affluèrent à la Blanche-Fontaine, devenue comme la Rome des vieux-croyans. Grâce au lien secret qui unit les raskolniks, et qui dans toutes les provinces de la Russie leur fait trouver des amis et un asile, les émissaires du métropolite Cyrille, le successeur russe du Bosnien Ambroise, parcouraient en sûreté les routes et les villes de l’empire.

Un gouvernement comme celui de la Russie, sous le règne d’un prince comme l’empereur Nicolas, ne pouvait voir de bon œil un sujet étranger établi sur la frontière parler en pasteur et en maître à des millions de sujets russes. Chez quelques conseillers de la couronne, la Blanche-Fontaine inspira des craintes presque égales aux espérances qu’elle avait suscitées parmi les adversaires de l’empire. Les esprits timides voyaient déjà le pontife de Bélokrinitsa s’avancer avec les troupes de l’ennemi, soulevant sur son passage la foule des vieux-croyans. « Que serait-ce, disaient-ils, en cas de