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C’étaient les sectes hiérarchiques qui, par leur principe et leur organisation, qui par leur diffusion dans le sud de l’empire et leurs colonies sur les territoires de la Turquie et de l’Autriche, se prêtaient le mieux à ce projet de concentration. Il y avait sur la frontière de la Russie, dans la Dobrudja, une colonie de Cosaques vieux-croyans sortis du territoire russe, au XVIIIe siècle, à la suite d’une insurrection, et demeurés en relation avec leurs frères, les Cosaques de l’intérieur de l’empire. L’émigré polonais, devenu bey et pacha, entra en rapport avec ces Cosaques de la Dobrudja. Faisant miroiter à leurs yeux le rétablissement de l’ancienne foi et de l’ancienne liberté cosaque, le pacha polonais leur fit entrevoir, dans une vague perspective, une république cosaque et starovère où la Pologne eût forcément trouvé une protégée ou une alliée.

Pour préparer les voies à cette sorte de panslavisme retourné contre la Russie et plus chimérique encore que l’autre, la première chose était de donner aux vieux-croyans la consistance qui leur manquait, de leur donner un chef, une sorte de pape ou de patriarche placé à l’abri des atteintes de Pétersbourg, et sous la dépendance d’un des ennemis ou des rivaux de la Russie. La chose était facile à faire accepter des starovères, fatigués d’avoir si longtemps cherché en vain un évêque et un épiscopat. Ce que le schisme ne pouvait espérer recevoir de sa patrie, où le haut clergé était trop éclairé, trop au fait du raskol, il n’était pas impossible de le rencontrer parmi les innombrables prélats de l’église de Constantinople, si souvent déplacés ou déposés. Le rêve des vieux-croyans eût été de découvrir en Orient un évêque toujours demeuré fidèle à l’ancienne foi. Dans leur ignorance, ils se persuadaient qu’au berceau du christianisme il devait être resté un clergé vieux-croyant, et plusieurs fois les émissaires du raskol avaient parcouru la Syrie et les métropoles orthodoxes de l’Orient, où d’ordinaire on ne connaissait même point de nom la vieille foi russe. Après d’inutiles recherches, les raskolniks de la Turquie et de l’Autriche durent se contenter d’un transfuge grec découvert par un renégat polonais, C’était un ancien métropolitain de Bosnie, du nom d’Ambroise, récemment déposé par le patriarche de Constantinople. Le métropolitain improvisé du schisme s’installa en 1846 en Bukovine, à Bélokrinitsa (en roumain Fontana-Alba), dans le principal des couvens starovères à l’étranger.

Le siège du nouveau patriarcat était admirablement placé, dans une province en partie ruthène et en partie roumaine, au point de jonction des trois grands empires où domine la race slave, la Russie, l’Autriche et la Turquie. L’Autriche, inquiète des menées panslavistes attribuées au cabinet russe, ne pouvait refuser l’hospitalité à une institution qui lui devait permettre de rendre à la Russie les