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attitude a singulièrement varié suivant les circonstances, suivant les époques. Du XVIIe siècle au XIXe, du jour où éclata le raskol jusqu’au temps actuel, le pouvoir laïque a, dans ses rapports avec les Russes en révolte contre l’église officielle, passé par trois phases principales et dans ses sévérités mêmes obéi à trois points de vue différens. Le tsar Alexis et son fils Féodor persécutaient les dissidens comme des hérétiques, des ennemis de la vérité religieuse ; Pierre le Grand les poursuivait comme des perturbateurs politiques, des rebelles aux réformes impériales ; Catherine II et ses descendans les ont traités successivement avec douceur et avec rigueur, cherchant tantôt à les ramener à l’église, tantôt à les réconcilier avec l’état. Dans cette dernière période, la politique adoptée vis-à-vis des dissidens, vis-à-vis des vieux-croyans, perd toute unité et tout esprit de suite ; ils se voient tour à tour frappés et tolérés, rassurés et menacés selon l’esprit du souverain et le vent du moment.

Un des principaux motifs de cette incohérence de la législation et des contradictions des mesures administratives, c’est la confusion de toutes ces doctrines hétérogènes sous un nom commun, qui, en leur donnant une trompeuse unité, engageait à leur appliquer les mêmes règles. On ne comprit point assez vite que, devant des doctrines et des principes si différens, une conduite uniforme ne pouvait convenir. Vieux-croyans hiérarchiques et sans-prêtres anarchiques, khlysty et molokanes, conservateurs rétrogrades et révolutionnaires radicaux, réunis et mêlés sous le nom commun de raskolniks, étaient combattus et condamnés avec une égale et inique rigueur. Lorsque les progrès de l’opinion et l’apparition des sectes excentriques amenèrent à faire des distinctions entre des doctrines si diverses, la classification administrative ne prêta guère à moins de confusions et à moins de reproches. Les communautés dissidentes furent divisées en deux grandes catégories, les sectes nuisibles et les sectes moins nuisibles (nestolvredniia), comme si entre elles il ne pût y avoir qu’une différence de degré dans le mal. Sous ce point de vue, pour nous plus ecclésiastique que laïque, plus religieux que civil, se retrouve l’habitude russe de chercher l’unité politique dans l’unité religieuse. Les sectes réputées dangereuses ou nuisibles ne sont pas seulement celles dont les croyances ou les pratiques mettent en péril l’ordre politique ou la morale ; ce sont toutes les communautés dont les doctrines s’attaquent aux fondemens mêmes de la doctrine orthodoxe. A côté des skoptsy, des khlysty, des errans, figurent sur les listes officielles les paisibles molokanes, les ignorans sabbatistes et d’autres communautés aussi inoffensives que chimériques, dont parfois l’existence même est incertaine, en sorte que dans la répression des hérésies nationales le gouvernement semble agir