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de la vie nationale, en accomplissant tant de miracles inattendus, a dans certains cas exalté le sentiment et les espérances du peuple, et, avant de calmer toutes ses aspirations, elle les a encouragées à se montrer sous la forme habituelle, sous la vieille enveloppe religieuse. Jusqu’en cette regrettable fécondité du champ de l’hérésie, il y a toutefois pour l’observateur une consolation, un gage d’amélioration. Ce sont les nouveaux penchans de la plupart des sectes nouvelles. Par leurs tendances pratiques et leurs préoccupations économiques, beaucoup de ces manifestations, comme les stundistes du sud-ouest ou les non-payeurs du nord-est, sont un mouvement social autant qu’un mouvement religieux.

Dans les sectes récentes plus encore que dans les anciennes hérésies la religion n’est point tout, elle est aussi cependant quelque chose, et c’est ce qu’oublient trop certains Russes. A côté de ces vagues aspirations sociales, il y a chez ce peuple des aspirations d’un autre ordre, il y a des besoins spirituels qui, dans les formes de l’église ou dans les mœurs du clergé, n’ont pas encore trouvé satisfaction[1]. Il y a enfin à l’apparition de nouvelles sectes en Russie une dernière et grande raison, c’est l’existence de sectes anciennes. Il en est des schismes religieux ou des hérésies comme de certaines plantes ; une fois acclimatées dans un terrain, elles s’en laissent difficilement bannir. Les sectes naissent des sectes, et, tant qu’il est en elles un reste de vie, elles se reproduisent et se ressèment les unes les autres.


V

Pour en finir avec elles, nous devons examiner quelle est vis-à-vis de ces sectes russes l’attitude du gouvernement national. Cette

  1. Certaines circonstances accessoires, certaines mesures libérales même, ont pu indirectement contribuer à entretenir l’esprit de secte, ainsi par exemple la propagation de la Bible non-seulement en slavon, mais en russe vulgaire. Les sociétés bibliques, jadis instituées sous Alexandre Ier, ont été restaurées sous Alexandre II, et les sociétaires orthodoxes montrent pour cette propagande presque autant de zèle que les sociétés protestantes d’Angleterre. J’ai vu, sur le chemin de fer Nicolas entre Pétersbourg et Moscou, des femmes quêter dans les wagons pour cette œuvre de diffusion des Écritures. Ailleurs c’étaient des membres de la société qui lisaient aux marchands ou aux paysans des fragmens des saints livres et leur en distribuaient ou vendaient des exemplaires au rabais que les chemins de fer emportaient aux quatre coins de l’empire. En mettant à la portée de chacun ces moyens d’édification et d’instruction, les sociétés bibliques mettent aussi chaque fidèle en possession des textes de la loi chrétienne, en possession des pièces sur lesquelles se fondent tous les débats théologiques, toutes les hérésies. Il en est du reste de la connaissance de l’Écriture comme de l’instruction en général : si elle risque de fournir quelques armes aux dissidens, elle contribuera toujours à dissiper les plus grossières de leurs erreurs et à relever le niveau moral et religieux du paysan, au grand bénéfice de l’église et de la nation.