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prophète connaît-il ceux qui l’interrogent, l’illusion est plus aisée encore. D’autres fois ce sont des paroles ambiguës, des oracles amphibologiques que chacun interprète à sa volonté, ou bien, comme au milieu des danses vertigineuses des khlysty, des mots entrecoupés, des phrases sans suite et sans signification, où l’ardente crédulité des auditeurs suppose toujours un sens caché.

Un fait digne de remarque, c’est le grand nombre des prophétesses et le grand rôle que jouent les femmes dans la plupart des sectes russes. Dans les communautés excentriques, chez les khlysty ou les skoptsy, comme chez les errans et d’autres branches extrêmes du raskol, certaines de ces prophétesses portent le titre de sainte vierge ou de mère de Dieu, bogoroditsa. Chez les hérétiques qui attendent un nouveau messie et une nouvelle incarnation, ce titre est peut-être pris à la lettre ; chez les autres, il semble entendu d’une manière mystique, figurée. Il y a des saintes vierges, comme il y a des christs, les deux vont d’ordinaire ensemble, par paire, et souvent c’est de la femme autant que de l’homme que vient l’impulsion, c’est à elle plutôt qu’à lui qu’appartient la direction. Le premier christ des khlysty, Ivan Souslof, le christ des skoptsy, André Selivanof, avaient chacun leur mère de Dieu, et les successeurs ou imitateurs de ces faux christs ont de même eu chacun leur vierge immaculée. La première bogoroditsa des mutilés, Akoulina Ivanovna, est encore aujourd’hui invoquée à côté de son fils spirituel par les adorateurs de l’eunuque Selivanof, et, comme lui, elle reçoit des titres royaux en même temps que des honneurs divins. Selon les skoptsy, cette Akoulina Ivanovna ne serait autre que l’impératrice Elisabeth, dont leurs légendes font la mère de l’empereur Pierre III. Les femmes, et en particulier une prophétesse du nom d’Anna Ivanovna, ont peut-être eu la principale part dans l’invention et la diffusion de la doctrine des skoptsy. Chez les khlysty, chacune des nefs ou korables a d’ordinaire sa mère de Dieu, à côté de laquelle il y a souvent diverses prophétesses, et plus d’une secte mystique a été fondée par une femme. La dignité de ces mères de Dieu ou prophétesses n’est pas toujours relevée par les charmes de la beauté ou de la jeunesse ; toutes n’ont pas non plus toujours gardé le célibat. Akoulina Ivanovna était vieille lorsqu’elle accueillit Selivanof, et ses émules sont souvent des femmes âgées ou, selon l’expression russe, des baba, parfois des femmes divorcées ou séparées de leurs maris, des aventurières qui doivent toute leur autorité à l’esprit d’intrigue ou à un caractère dominateur.

Ce n’est pas seulement dans les sectes prophétiques, chez les illuminés et les mystiques, que le rôle des femmes est considérable, c’est aussi, bien qu’à un moindre degré, chez les vieux-croyans et