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titre de fils de Dieu, mais, interprétant l’Évangile à leur manière, ils font de lui comme de ses apôtres une sorte de précurseur de Selivanof. La mutilation était, selon eux, l’objet de la doctrine secrète de Jésus ; mais cet enseignement ayant été incomplet, corrompu ou oublié, il a fallu, pour achever la rédemption du genre humain, la venue d’un nouveau Christ qui enseignât et pratiquât le principe de la mutilation dans toute sa force.

Ce sauveur, ce fils de Dieu, dont les blanches-colombes attendent le retour visible, se fit connaître sous Catherine II. On ne sait rien ni de son origine, ni de sa famille ; il est probable que ce n’était qu’un paysan échappé au recrutement. Avant de devenir fondateur de religion, il mena longtemps une vie vagabonde, recueilli et abrité par les khlysty, avec lesquels il devait rompre un jour. C’est dans une de leurs communautés, alors dirigée par une prophétesse presque centenaire, Akoulina Ivanovna, que la nouvelle foi fut proclamée et le vrai Dieu reconnu dans la personne de Selivanof. Ce christ improvisé était un homme sans éducation, ne sachant ni lire, ni écrire ; ses enseignemens étaient recueillis par ses disciples, qui devinrent rapidement nombreux. Arrêté comme un des principaux instigateurs de la nouvelle hérésie, Selivanof fut knouté et exilé en Sibérie, à Irkoutsk ; il n’en revint que sous le règne de Paul Ier. Chose singulière, dans un dessein politique peut-être autant que dans une pensée religieuse, ce paysan, qui se donnait comme christ et fils de Dieu, se donnait en même temps comme prince et empereur. Les deux impostures ont, dans la Russie moderne, été également fréquentes, sans doute pour des causes analogues, un peuple crédule et épris du merveilleux, un peuple esclave et rêvant vaguement de délivrance, accueillant avec la même naïveté les faux tsars et les faux christs. Selivanof est probablement le seul qui ait assumé à la fois cette double qualité, et qui après une longue vie garde encore dans la mort de nombreux et fanatiques adorateurs. Comme son contemporain, le raskolnik Pougatchef, Selivanof se faisait passer pour Pierre III, et encore aujourd’hui les skoptsy identifient les deux personnages, l’empereur et le sectaire. A l’origine, sous le règne de Catherine II, alors que le peuple russe s’attendait toujours à voir reparaître le souverain détrôné, cette seconde imposture ne fut peut-être pour le faux christ qu’un moyen de faire réussir la première ; peut-être l’idée n’en vint-elle pas à Selivanof lui-même et lui fut-elle imposée par l’ignorance ou les calculs de ses adeptes. Toujours est-il que, de son vivant même, le nouveau rédempteur prenait, dans les prières qu’il se faisait adresser, le titre de dieu des dieux et de roi des rois. Selon les skoptsy, l’empereur Paul Ier aurait voulu voir l’homme qui se déclarait son père, et c’est dans cette intention qu’il l’aurait fait revenir du fond de la