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d’autant plus tenté de croire à l’exagération ou aux fantastiques illusions des récits de ce genre, que le paysan russe est naturellement plus doux. Il y a certaines aberrations du fanatisme qu’il n’est cependant pas permis de mettre en doute. Jadis les philippovtsy se brûlaient en troupe pour laver leurs péchés dans la flamme, et aujourd’hui même il est des hommes qui pratiquent le baptême du feu en l’entendant d’une façon plus odieuse encore ; c’est une secte où le sacrifice sanglant et le couteau de l’opérateur jouent toujours un rôle capital, une secte mystique comme les khlysty, rapprochée de ces derniers par son origine et ses dogmes, la secte des skoptsy ou mutilés, des eunuques ou origénistes.


II. — SKOPTSY.

Des sectes mystiques comme les khlysty ou les sauteurs, des illuminés aux doctrines ascétiques ou sensuelles, faisant de l’inspiration le droit et la vocation de tous les fidèles, se sont montrées de tout temps chez les peuples où l’imagination religieuse conserve encore sa première puissance. Une secte qui de la plus dégradante pratique de l’esclavage et des harems d’Orient fait un système moral et religieux, une secte qui de la mutilation, de la castration de l’homme fait une obligation, un devoir général, ne s’est peut-être vue qu’en Russie. Il est facile de trouver aux skoptsy des ancêtres spirituels dans le paganisme ou même dans le christianisme, chez les prêtres de Cybèle ou d’Atys, dont la mutilation ne semble qu’une conséquence, une application d’un symbolisme religieux, chez le savant Origène, qui dans la mutilation du corps cherchait le repos et le loisir de l’esprit. La pensée du grand docteur de l’église est une de celles qui inspirent ses imitateurs russes, elle n’est point la seule. L’émasculation est une forme d’ascétisme, c’est la plus radicale des macérations, la plus effective des pénitences. Dans leur haine contre les sens et la corruption sensuelle, les skoptsy retranchent par le fer le siège même de la tentation. Chez eux, le meilleur moyen pour arriver à l’union avec la Divinité ou au don de prophétie, c’est d’affranchir l’âme de l’impulsion des sens, de rendre l’esprit libre du corps en anéantissant les appétits corporels. La recherche du ravissement, de l’extase, et l’idée du sacrifice sanglant s’unissent, l’un servant de moyen à l’autre. Selon les skoptsy, l’homme doit devenir semblable aux anges, il doit abdiquer tout sexe et tout penchant charnel. Ces idées de sectaires frénétiques sont poétiquement développées dans leurs hymnes et leurs poésies, qui sont nombreuses. Par allusion à cette pureté idéale, ils se donnent à eux-mêmes le nom symbolique de blanches-colombes, belié golouby. Ils sont les