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présentant les mêmes oppositions ou les mêmes combinaisons d’ascétisme et de sensualisme, d’illuminisme raffiné et de cynique grossièreté, alliance qui semble propre à un certain âge de l’existence, à un certain état de la vie populaire. Dans toutes les folies de ce genre, une grande part doit être attribuée à l’exaltation réciproque des fanatiques, à cette contagion religieuse qui accroît le délire des uns de la démence des autres. Ces assemblées d’hommes à la recherche de l’extase peuvent aussi déterminer de ces accès nerveux, de ces effets, en apparence inexplicables, désignés d’ordinaire sous le nom de magnétisme, — des convulsions, des crises de catalepsie, et tous ces phénomènes, longtemps mal étudiés, que les âmes simples prennent pour des marques d’inspiration ou de ravissement céleste. C’est ce qui s’est vu en France au XVIIIe siècle, chez les trembleurs protestans des Cévennes, et chez les jansénistes du cimetière Saint-Médard.

Au symbolisme érotique ou aux rites licencieux, quelques illuminés ont joint ou substitué de sanglantes cérémonies. Comme la volupté et la génération, la souffrance et la mort ont pu prendre une place dans le culte, les deux extrêmes de la vie, les deux choses qui agissent le plus violemment sur les sens et l’imagination, recevant aisément parmi les peuples enfans un caractère religieux. A en croire leurs adversaires orthodoxes, des sacrifices humains et une sorte de cannibalisme sacré se seraient ainsi rencontrés chez des sectaires de la Russie moderne. Chez les uns, c’était un enfant nouveau-né, l’enfant d’une fille non mariée qu’on égorgeait après le baptême, et dont le sang et le cœur mêlés à du miel tenaient lieu d’eucharistie et du sang de l’agneau de Dieu[1]. Chez d’autres, l’innocente victime, au lieu d’être immolée par le fer, devait, dit-on, expirer lentement, les assistans se la jetant et la rejetant les uns aux autres jusqu’à ce que la vie s’éteignît. Ailleurs c’était une jeune fille choisie dans la communauté, une jeune fille, vivante et volontaire victime, dont le sein virginal, enlevé au milieu d’une lugubre cérémonie, servait de nourriture et de communion aux fanatiques[2]. De telles pratiques sanglantes, de semblables mutilations de la femme, signalées il y a mille ans par les annales de Nestor chez les païens de Russie, se seraient retrouvées de nos jours chez des tribus finnoises de l’empire. On est

  1. Mgr Philarète, Istoriia Rousskoï tserkvy.
  2. Haxthausen entre autres a recueilli cette histoire dans ses Études sur la Russie. Il peut y avoir dans ce récit plusieurs fois reproduit une confusion avec certaines pratiques des skoptsy. C’est un des grands mérites de Haxthausen d’avoir, le premier peut-être en Europe, compris l’intérêt du raskol et des sectes russes ; mais à l’époque où il écrivait, ces doctrines populaires n’avaient pas encore été assez étudiées en Russie même pour qu’un étranger en pût faire un fidèle tableau.