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Si les corps vivans ne sont pas seuls soumis à la loi d’évolution, la faculté de se régénérer, de se cicatriser, ne leur est pas non plus exclusive, quoique ce soit sur eux qu’elle se manifeste plus activement. Chacun sait qu’un organisme vivant, quand il a été mutilé, tend à se refaire suivant les lois de sa morphologie spéciale : la blessure se cicatrise dans l’animal et dans la plante, la perte de substance se comble, et l’être se rétablit dans sa forme et son unité. Ce phénomène de reconstitution, de rédintégration, a profondément frappé les philosophes naturalistes, et ils ont beaucoup insisté sur cette tendance de la vie à l’individualité, qui fait de l’être vivant un tout harmonique, une sorte de petit monde dans le grand. Quand l’harmonie de l’édifice organique est troublée, elle tend à se rétablir ; mais il n’est pas nécessaire d’invoquer, pour expliquer ces faits, une force, une propriété vitale en contradiction avec la physique. Les corps minéraux en effet se montrent doués de cette même unité morphologique, de cette même tendance à la rétablir. Les cristaux comme les êtres vivans ont leurs formes, leur plan particulier, et ils sont susceptibles d’éprouver les actions perturbatrices du milieu ambiant. La force physique qui range les particules cristallines suivant les lois d’une savante géométrie a des résultats analogues à celle qui range la substance organisée sous la forme d’un animal ou d’une plante. M. Pasteur a signalé des faits de cicatrisation, de rédintégration cristalline, qui méritent toute notre attention. Il étudia certains cristaux et les soumit à des mutilations qu’il a vues se réparer très rapidement et très régulièrement. Il résulte de l’ensemble de ses recherches que « lorsqu’un cristal a été brisé sur l’une quelconque de ses parties et qu’on le replace dans son eau-mère, on voit, en même temps que le cristal s’agrandit dans tous les sens par un dépôt de particules cristallines, un travail très actif avoir lieu sur la partie brisée ou déformée, et en quelques heures il a satisfait, non-seulement à la régularité du travail général sur toutes les parties du cristal, mais au rétablissement de la régularité dans la partie mutilée. » Ces faits remarquables de rédintégration cristalline se rapprochent complètement de ceux que présentent les êtres vivans lorsqu’on leur fait une plaie plus ou moins profonde. Dans le cristal comme dans l’animal, la partie endommagée se cicatrise, reprend peu à peu sa forme primitive, et dans les deux cas le travail de reformation des tissus est en cet endroit bien plus actif que dans les conditions évolutives ordinaires.

Les brèves considérations que nous venons d’exposer et que nous pourrions développer à l’infini nous semblent suffisantes pour montrer que la ligne profonde de démarcation que les vitalistes ont voulu établir entre les corps bruts au point de vue de leur durée, de leur