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gros de l’armée, il laissait derrière lui près de 15,000 hommes, pour prendre lui-même les devans avec environ 8,000 ou 9,000, et, faisant faire à ces soldats éprouvés une pénible marche de nuit, il atteignit Sharpsburg le 16 de grand matin. Il arrivait à temps, car Mac-Clellan n’avait pu attaquer la veille les positions de Lee. Deux semaines seulement s’étaient écoulées depuis qu’il avait pris le commandement de cette armée ou plutôt de cette foule désorganisée. Il n’avait pu la transformer au point d’obtenir d’elle cette régularité et cette continuité dans la marche qui, plus encore que la solidité sous le feu, font la supériorité des vieilles troupes. Lorsqu’il arriva le 15 dans l’après-midi sur les bords de l’Antietam, il n’avait avec lui que deux divisions, celles de Sykes et de Richardson, appartenant au corps de Sumner. L’encombrement des routes, la fatigue des soldats, l’inexactitude de quelques chefs, l’insouciance des autres, avaient retardé tout le reste de l’armée, qui s’allongeait en colonnes interminables entre Boonesboro et l’Antietam. Avec deux divisions, il ne pouvait attaquer une vingtaine de mille hommes fortement établis derrière une rivière. Il fallut bien remettre la bataille au lendemain et se borner à reconnaître les positions de l’ennemi, à déterminer celles qu’il ferait occuper à ses troupes à mesure qu’elles arriveraient. Le 16 au matin, la ligne fédérale n’était pas encore complètement formée.

Lee de son côté, ainsi que nous l’avons dit, n’avait pas bougé, et, au moment où les unionistes se déployaient en face de lui au milieu des riches moissons qui descendaient jusqu’aux berges escarpées de l’Antietam, Jackson lui apportait l’appui moral de sa présence et le renfort de deux divisions. Cependant la situation de l’armée confédérée était grave, et il fallait qu’elle eût pour chef un homme bien résolu pour n’avoir pas repassé le Potomac à la faveur de la nuit et cherché une position plus sûre dans la vallée de Virginie. En effet, l’invasion qu’elle avait entreprise avec tant de confiance était interrompue : acculée à la frontière du Maryland, elle se trouvait réduite à la défensive et obligée de combattre, avec un fleuve à dos ; un adversaire qui avait sur elle une très grande supériorité numérique ; puis ces mouvemens rapides qui l’avaient amenée depuis le Rapidan jusqu’au Potomac ne s’étaient pas faits sans de grands sacrifices : le gros de l’armée avait marché en avant ; comme ces comètes qui sèment, dit-on, dans l’espace une partie de leur substance, elle. avait laissé derrière elle une nuée de retardataires qui s’était augmentée à chaque étape. C’étaient des malades, des hommes fourbus, boiteux ou épuisés par le manque de vivres, mais encore animés du désir, soutenus par l’espoir de rejoindre leurs camarades plus valides pour prendre part à leurs glorieux travaux. Toute armée est