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représentation amicale de l’Allemagne. Au moment où M. Disraeli parlait, l’envoyé allemand à Bruxelles, M. le comte Perponcher, faisait au ministère belge une communication nouvelle qui, ainsi que la précédente, a été portée à la connaissance des divers cabinets. Il ne faut rien grossir ; non évidemment, pas plus dans la dépêche nouvelle que dans la première, M. de Bismarck n’a adressé des menaces ou un ultimatum à la Belgique. Il ne demande pas non plus une réforme de la constitution belge. Si c’est là ce que M. Disraeli a voulu dire en parlant d’une simple représentation amicale, il a eu certes raison ; mais enfin il ne reste pas moins un conflit des plus délicats entre une puissance considérable et un petit pays couvert, jusqu’ici par la neutralité ! M. de Bismarck, il est vrai, semble avoir trouvé un moyen ingénieux, il transforme la question ; il proposerait de soumettre à une sorte d’examen international un code de garanties réciproques contre les attaques de la presse, contre toutes les manifestations hostiles dont des gouvernemens étrangers peuvent être l’objet. On remarquera cette tendance du chancelier allemand à généraliser les questions, soit à propos du pape, soit au sujet de la Belgique, à constituer un aéropage européen, où il aurait, bien entendu, le rôle directeur. Malheureusement M. de Bismarck ne simplifie pas les questions en les généralisant, il les complique au contraire en mettant en avant des combinaisons ; peu saisissables, peu admissibles pour les grandes puissances, assurément périlleuses pour les petites nations, aussi attachées que les grandes à leur indépendance, et en définitive il laisse tout en suspens.

Les événemens d’aujourd’hui ont cela de caractéristique qu’ils s’éclairent souvent de la lumière ; d’un passé plein de révélations et d’enseignemens pour les victorieux comme pour les vaincus. Ce passé M. Lanfrey le raconte dans son Histoire de Napoléon Ier, qu’il reprend après une interruption de quelques années, et dont il publie maintenant le cinquième volume. C’est l’histoire de cette période qui va de la campagne d’Autriche en 1809 aux préliminaires de la campagne de Russie à travers les guerres d’Espagne et de Portugal. M. Lanfrey se remet à l’œuvre avec un talent qui s’est mûri par l’étude, par l’expérience des affaires, qui a pris aussi un nouveau caractère d’élévation et de fermeté. Il décrit cette époque pleine d’actions héroïques et d’erreurs fatales. Il conduit Napoléon à ce point culminant que tous les dominateurs qui ne savent pas se contenir connaissent un jour ou l’autre, où ils sont saisis de vertige avant de se précipiter : dernier enseignement laissé par le plus grand des victorieux à ceux qui abusent de la victoire et de la puissance !


CH. DE MAZADE.