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cette harangue tribunitienne. Sous ces amplifications incorrectes, il y a une habileté réelle, un sens politique des plus fins, et si l’on veut mesurer le chemin qui a été parcouru en peu de temps, le travail qui s’est fait dans les partis, même dans les partis extrêmes, on peut s’en rendre compte par ce discours de Ménilmontant, par l’accueil qu’il a reçu d’un auditoire aux idées exaltées.

Tout est caractéristique. Il y a quelques années, M. Gambetta refusait avec arrogance à l’assemblée de Versailles le droit de constituer, s’il ne voulait pas même accepter de ses mains la république, s’il lui prenait fantaisie de la voter ; il se moquait de la république conservatrice de M. Thiers. La proposition d’une seconde chambre était aux yeux des radicaux une invention réactionnaire et oligarchique. Le droit de révision constitutionnelle réservé au parlement eût ressemblé à une usurpation, à un attentat contre la souveraineté populaire. Aujourd’hui cet orgueil est un peu tombé, ces prétentions de secte se courbent devant la nécessité, et non-seulement M. Gambetta trouve parfaitement légitime que l’assemblée vote la république, qu’elle crée un sénat, qu’elle consacre le droit de révision parlementaire, mais encore il fait alliance avec une fraction de la majorité conservatrice pour aider au succès de l’œuvre commune. Bien mieux, en vrai néophyte, il soutient que cette constitution à peine discutée, à peine ébauchée, n’est point aussi insuffisante qu’on le dit ; il exalte dans son principe et dans sa fonction de grand pouvoir public ce sénat qu’il affuble, il est vrai, du titre de « grand conseil des communes françaises, » et qu’il dénature passablement ; il assure que le droit de révision est tout ce qu’il y a de plus juste et de plus favorable ; il ne refuse point son vote à un ministère conservateur, et pendant trois heures, sauf les saillies de tempérament et les sacrifices à la popularité, il parle devant un auditoire radical de modération, de patience, de concessions, de ménagemens nécessaires. Il parle, il raconte ce qu’il a fait, il expose les raisons de prudence qui l’ont dirigé, et après tout ce qu’il dit ne semble pas mal accueilli. Belleville se pique de sagesse ! Est-ce de l’habileté de circonstance ? est-ce une sincérité réelle ? C’est là la question, et ce n’est peut-être pas ce qu’il y a de mieux qu’on puisse se faire cette question.

M. Gambetta a sûrement pris une part active et efficace aux dernières transformations. Malheureusement il a toujours un peu trop l’air de jouer un rôle et de se croire plus habile que tout le monde. Avec ses alliés du parlement, il sacrifie bien un peu ses amis de Belleville, cette terrible « queue » qu’il prétend ne pas vouloir couper. À Ménilmontant, il semble faire des signes d’intelligence à ceux qui l’écoutent et leur dire : Entendez-moi bien et surtout comprenez-moi. Ne vous inquiétez pas de tout ce que nous faisons à Versailles, prenez patience. Laissez l’assemblée voter la république, voter le sénat, voter le droit de révision et tout ce qu’elle voudra. Quand le tour sera joué, les élections