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européens, fournit la démonstration évidente de cette supériorité de l’administration française, dont tout récemment le parlement de Bruxelles, en ce qui concerne la création des chemins de fer, a déclaré qu’elle devait être réellement pour l’Europe un objet d’envie.

En pareille matière, on ne saurait trop rappeler avec quelles précautions le plan de nos voies de communication a été préparé, poursuivi et augmenté sous les deux derniers gouvernemens de la France, et est devenu pour nos voisins un modèle qu’ils n’ont pas malheureusement su toujours imiter. Il ne serait que juste de remonter à la restauration elle-même et aux grandes commissions des canaux de 1821 pour retrouver les traces de cet esprit d’unité, de coordination qui est bien le propre esprit français. Ce fut le jeune ingénieur, secrétaire de cette grande commission de 1821, M. Legrand, qui prit bientôt lui-même la direction des ponts et chaussées et conserva sous divers titres la conduite des travaux publics[1] pendant toute la durée du règne de Louis-Philippe. Quelle admirable histoire reste à faire de toutes ces entreprises conçues et préparées d’abord, conduites plus tard, par les soins de nos ingénieurs, sous les ordres d’un homme qu’on peut justement qualifier du nom d’un grand serviteur de l’état et dont M. Villemain disait, dans un des conseils du roi, que de tels mérites ne se payaient qu’avec de l’honneur ! La pensée de M. Legrand n’a jamais été mieux exprimée que dans l’exposé des motifs d’un projet de loi sur les chemins de fer en 1835. « Une activité industrielle immense, y lisait-on, est imprimée à l’Europe entière. La Méditerranée s’anime d’un mouvement égal à celui de l’Océan. La civilisation retourne vers son antique origine. L’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, cherchent à se rapprocher par le commerce. Jamais le nouveau monde ne se lia par des relations plus fréquentes avec l’ancien. C’est au centre même de ce mouvement que la France est placée. Elle peut devenir le centre d’un transit énorme. Si la paix longtemps maintenue fait tous les ans des excédans de recettes, si nous pouvons réaliser un jour le phénomène de vastes communications qui réuniront ensemble Le Havre et Bordeaux avec Paris, Lyon, Strasbourg et Marseille, nous aurons doté notre pays d’une prospérité immense… C’est dans cette pensée que le gouvernement

  1. Le directeur-général des ponts et chaussées et des mines ne tarda pas à être promu au rang de sous-secrétaire d’état des travaux publics. L’honorable M. Dufaure, qui prit cette mesure, se résignait, comme il le déclarait expressément, à se priver au profit de son collaborateur des plus importantes attributions de son ministère pour enlever les corps des ingénieurs français aux vicissitudes et aux faveurs dangereuses de la politique, et assurer pour de longues années la suite de nos grandes entreprises à celui qui mieux que personne était capable de les mener à bien.