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lui-même l’a éprouvé, — après un brusque changement politique les contributions directes et indirectes voient leurs produits fléchir par le ralentissement de la consommation et de la production, peut-être aussi par moins de sévérité dans la perception des impôts ; mais bientôt les rênes distendues du pouvoir se resserrent, et, quand l’interrègne n’est pas trop long, les habitudes du travail et de la régularité reprennent le dessus. En Espagne, il n’en est pas ainsi : des abus invétérés de privilèges et d’exemptions ont affranchi du poids le plus lourd des impôts, même directs, ceux qui les supporteraient le plus aisément, à savoir les plus riches et les plus puissans : pour la plupart des citoyens, la révolte contre le fisc n’a rien de répréhensible ; le personnel des agens de perception fait même défaut, enfin la nonchalance proverbiale des habitans d’un sol aisément productif oppose une trop forte barrière aux progrès matériels. Ce sont là des difficultés qu’il faut envisager sérieusement, si on veut se rendre compte de la situation actuelle de l’Espagne dont un seul chiffre résume le danger.

On ne peut évaluer à plus de 500 millions le revenu public, et les dépenses à moins de 700, dont la dette absorbe la moitié. Dans ce budget de dépenses n’entrent même point les frais exceptionnels de la guerre ; on y pourvoit en ce moment en faisant banqueroute entière aux créanciers de l’état[1]. C’est assurément facile ; mais toute chose a son terme, même l’insolvabilité forcée. La guerre civile prenant fin, la royauté constitutionnelle d’Alphonse XII se trouvera en présence du plus grave de tous les problèmes et de la tâche la plus ingrate ; le compte des dépenses arriérées devra être établi, on fera le solde de toutes les anticipations de revenus, de tous les

  1. La Gazette de Madrid a publié, le 7 avril dernier, l’exposé des motifs du décret qui accompagne le budget additionnel de la guerre pour la fin de l’exercice 1874-75. Nous en citons l’extrait suivant : « Quand on considère que les seules dépenses du budget de la guerre dépasseront cette année 375 millions de francs, les dépenses de la marine non comprises,… que c’est aussi de la nation que proviennent les ressources que consument les troupes carlistes, — quand on compte la richesse détruite, celle qu’il y a encore à détruire, et celle qui n’a pas été produite durant ces années de guerre, — quand on voit que tous les revenus publics permanens fournissent à peine au trésor une recette positive égale aux sommes qu’il faut consacrer aux dépenses militaires, que toute l’administration de l’état, la marine, la justice, le fomento (commerce et travaux publics), les cultes, l’immense charge de la dette publique, que tout cela en un mot reste en découvert et se trouve difficilement alimenté par des opérations de crédit à intérêt énorme, qui en peu de temps doublent les dettes primitives, — quand on voit enfin Cuba dévorée par une guerre non moins cruelle ni moins coûteuse, qui est en train de transformer la province la plus riche de la monarchie on un monceau de cendres, l’esprit le plus serein, le plus confiant dans l’avenir de la nation, serait tenté non-seulement de perdre courage, mais encore de perdre l’espoir qu’il y ait remède à tant de maux. » Que pourrait-on dire après un tel aveu ?